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Critiques de livres

Thomas Gunzig
10 000 litres d'horreur pure, modeste contribution à une sousculture
illustr. de Blanquet
Vauvert
Au Diable vauvert
2007

Morceaux de pur cauchemar
par Michel Torrekens
Le Carnet et les Instants n° 148

En soi, la couverture de ce dernier roman de Thomas Gunzig est déjà tout un programme. Avec une illustration toute dégoulinante de sang, un corps happé par des tentacules, un visage aux yeux exorbités et une bouche béante. Avec un titre à rallonges, 10 000 litres d'horreur pure, on ne peut plus clair. Et un sous-titre, modeste contribution à une sous-culture, comme si l'auteur avait estimé nécessaire de préciser sa démarche. Ce que vient immédiatement confirmer une «Petite introduction en guise de justification », qui rend hommage aux films de son adolescence, quelque part au milieu des années 80, quand les «dégénérés en devenir que nous étions» recherchaient «du transgressif, du sale, de l'épais, du nauséeux, du nauséabond et plus encore si possible, de l'innommable, des films tellement terribles que nous n'avions pas les mots pour les décrire, des films qui, si possible, allaient faire de nous des hommes». Et l'auteur de citer des réalisateurs comme Dario Argento, Wes Craven, Tom Savini, Neil Marshall, Alexandre Aja, Kim Chapiron et le Belge Fabrice du Welz.

Pas de surprise donc : le roman s'inspire des règles du «survival». En l'occurrence, un groupe de jeunes, biberonnés de culture urbaine, qui s'éclatent à travers l'alcool, la drogue et bien sûr et surtout le sexe. Ils s'offrent une escapade à la campagne, dans un lieu complètement opposé à leurs habitudes de citadins. On retrouve à cette occasion la truculence de Gunzig pour nous camper des personnages bourrés de maladresses, de complexes et de névroses, avec plein de boutons à l'âme, et donc capables de se révéler étonnamment courageux face à leurs peurs, au point que l'on se demande s'il n'y a pas eu erreur de casting. Chacun incarne un profil stéréotypé comme la bimbo qui garde malgré tout un côté fleur bleue, la bourgeoise bohème à qui on ne la fait pas, le macho bellâtre qui va en prendre plein la gueule, le faible fier de se trouver au milieu de ces amis de choix, etc. Gunzig les dépeint avec humour, les pousse dans leurs derniers retranchements et manifeste à leur égard un brin de tendresse quand il explore leur passé.

Leur apparente insouciance, leur indifférence au monde qui les entoure va éclater face aux «épreuves» qui les attendent, une descente dans l'horreur où le rationnel n'a plus droit de cité. Là aussi les codes en vigueur dans le genre abondent : la maison au fond des bois, la trappe dissimulée qui conduit vers les tréfonds de la terre, les êtres venus d'un autre univers, un animal mi-chat, mi-rat, une baignoire sans fond, des bébés morts flottants dans une soupe immonde, des odeurs pestilentielles et surtout des individus solitaires, mystérieux, inquiétants, dont la campagne profonde est le refuge, et qui semblent surgir de nulle part, sans oublier une revenante, sœur handicapée d'un des protagonistes, qui est comme le retour du passé dans le présent de nos anti-héros. Les épisodes se suivent à un rythme soutenu, dans un monde où le mal domine, les corps sont torturés et la peur est omniprésente. On devine que les choses ne vont guère s'arranger et, après une débauche de chairs découpées et d'hémoglobine, les personnages disparaissent les uns après les autres, absorbés par cet outre-monde, pour laisser une impression étrange de calme et de vide. Un peu comme si les choses étaient rentrées dans l'ordre, mais un ordre du monde complètement inversé par rapport à celui du début du livre. Une sorte de grande lessive dont on sort soi-même quelque peu lessivé, si on a l'âme sensible et le rationnel trop bien accroché.

Thomas Gunzig s'est clairement amusé à nous entraîner dans cet hommage aux séries B et aux films d'épouvante dont on a peu (voire pas) de correspondant en littérature belge. Ceci dit, ses premiers livres, et notamment ses recueils de nouvelles, avec des titres qui en disaient déjà long comme Situation instable penchant vers le mois d'août, Il y avait quelque chose dans le noir qu'on n'avait pas vu, A part moi personne n'est mort, annonçaient déjà la couleur par leur humour, leur cynisme amusé, leur noirceur, la manière espiègle de se moquer de nos contemporains.