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Critiques de livres


Armel JOB
Helena Vannek
Robert Laffont
2002
235 p.

La face obscure des destins

On a failli passer à côté d'Armel Job. Hasard du calendrier de ses publi­cations ou grande discrétion de l'auteur, peu importe, il est temps de d'abor­der ce passionnant conteur. Après avoir publié deux récits chez L'Har­mattan et un livre pour la jeunesse, De la salade !, chez Mémor, Armel Job vient de publier Helena Vannek, son troisième roman sous la couverture de Robert Laffont. Un bon prétexte pour faire un saut en arrière et évoquer les précédents ouvrages de cet auteur qui réussit à tenir le lecteur en haleine avec des histoires de (presque) tous les jours (très) ingénieusement construites. La femme manquée (2000) raconte l'histoire de Charles, 35 ans, agriculteur aisé de Sarteau, dans les Ardennes. Aisé mais céliba­taire, Charles rêve d'une femme et il charge Evariste, le clerc de notaire, de rédiger pour lui des annonces dans la presse locale. En vain. Malgré de nombreuses tentatives, les seules réponses qu'il reçoit sont des blagues d'un goût douteux. Charles va alors s'éprendre, sur catalogue, d'une jeune fille d'outremer avec qui il va longtemps corres­pondre avant de la faire venir à Sarteau. Son arrivée va complètement perturber la vie du village. Car derrière l'histoire de Charles, il y a celle d'un village où tout le monde se connaît et chacun a ses lointains souvenirs ou de petits secrets que personne ne remue pour ne pas être éclaboussé en re­tour. La respectabilité se coule donc sous une chape de silence imposé mais chacun est à l'affût du moindre faux pas du voisin. Rocafrème, où se déroule Baigneuse nue sur un rocher (2001) est un autre village des Ar­dennes, proche de Liège. José Cohen, le peintre, s'y est réfugié pendant la guerre et ne l'a plus quitté (nous sommes à la fin des années 50). Il ne fait plus que des paysages mais il a, discrètement, réussi à convaincre Thérèse, la très belle fille du charcutier, de poser nue. Le jour même où une indiscré­tion savamment organisée dévoilera que le tableau est exposé à Liège, il disparaîtra chez un acheteur anonyme et le peintre sera retrouvé mort. Ce double événement mettra au jour une série de secrets et de rancœurs, d'anciennes combines ou complicités datant de la guerre et de la résistance et gouvernant toujours, dans le non-dit, la vie des mem­bres du village.

Il y a de l'ethnographie autant que du plai­sir à conter dans le travail d'Armel Job mais il faut aussi souligner deux qualités particu­lières. D'abord, une manière habile et élé­gante d'amener les indices et les détails que le lecteur rencontre sans sourciller avant de comprendre, quelques pages plus loin, qu'ils avaient une importance cruciale ; cela rythme des récits passionnants. Ensuite, ce fouillis de secrets qui est le moteur de l'ac­tion, ce fond obscur qui continue à hanter les personnages, l'auteur finit par en donner toutes les clés au lecteur de sorte que celui-ci appréhende le cadre global d'une histoire qui dépasse chacun des protagonistes. Le récit se referme donc mais la méditation sur le cœur humain reste ouverte. Helena Vannek, le dernier paru, trace l'his­toire d'une vie, entre passion et désirs, mal­entendus et résignations, microcosme intime des précédentes tensions villageoises. Le récit de Lena commence le jour de la mort de sa mère dans ce village flamand de la Campine voisine d'un chantier qui devien­dra le canal Albert. Le père, autoritaire mar­chand de chevaux, brûlera le lit conjugal après les obsèques et dirigera la famille : Lena terminera ses études pour devenir institutrice, Mieke s'occupera du ménage et Tobie sera envoyé à l'internat. Lena devient institutrice et Tobie, revenu à la maison, fait les quatre cents coups avec Guido que son père a pris comme apprenti. Guido intrigue mais il ne révèle rien alors qu'il a l'air si complice avec Tobie qu'il suit jusque dans ce groupe de chemises brunes... Lena s'aperçoit qu'elle est tombée amoureuse de lui et se croit aimée en retour. Après un ac­cident survenu lors d'une désobéissance au père, Lena laisse Tobie pour mort et s'enfuit avec Guido vers Anvers mais Guido prendra seul le bateau. Devenue vieille, Helena pas­sera ses journées à regarder couler la Meuse de la fenêtre de son appartement liégeois. Son fils reconstruira alors le fil de ce destin brisé par un malentendu et une faute. Avant d'ouvrir un livre d'Armel Job, pré­voyez quelques heures : le temps de vous laisser mener jusqu'à la dernière page...

Jack Keguenne