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Critiques de livres


Corinne BERTRAND
Hors-d œuvre
Balland
coll. Le rayon
2000
415 p.

Du court en rayon

Certains livres doivent parfois être re­placés dans leur contexte éditorial pour éviter des erreurs de réception, de lecture et de commentaires. Partons de la constatation la plus simple — Corinne Ber­trand est publiée au Rayon — et précisons. Le Rayon est une collection de chez Balland, née voilà un an, dirigée par Guillaume Dustan, écrivain remarqué (Dans ma chambre, Nicolas Pages...) et agitateur des lettres françaises (entre autres). A l'origine, elle s'intitulait le Rayon gay. Comme cette dénomination le laissait entendre, elle comptait une majorité de livres qui pla­çaient en leur cœur (en leur corps, serait tout aussi juste) les désirs homosexuels.
Mais pas seulement. Au cours des mois, l'adjectif gay est tombé (mal perçu dans cette France obsédée par l'idéal bon teint d'universalité, réfractaire aux différences), mais la ligne éditoriale est restée fidèle à elle-même : ouverte aux formes les plus ré­centes de narration (particulièrement à l'autofiction), aux premiers romans, aux fortes émotions, et à l'homosexualité, évidem­ment. Comment notre Corinne Bertrand a-t-elle atterri dans cette collection, elle qui écrit des nouvelles et des fragments sur les hiatus entre les hommes et les femmes ? Par un coup de cœur tout d'abord. Dustan se promenait au festival du livre de Charleroi et est tombé sur sept petits livres publiés par la dame à compte d'auteur. Ni une ni deux, il décide, elle sera de l'aventure du Rayon. Il pressent en elle un potentiel de star. Les sept titres seront publiés d'un coup, en un seul volume. Dustan aime in­venter des livres composites, épais, accumu­lant les formes courtes en leur intérieur. Dans celui de Corinne Bertrand on trouve : un recueil de nouvelles longues ( ?) d'un paragraphe, voire de deux ou trois pages, des nouvelles avec des personnages à la vie ordinaire et aux dérèglements étranges ; — une myriade de courtes notations sur des monsieur-et-madame-tout-le-monde qui ont un métier (parfois), des habitudes, des manies et qui rêvent à autre chose, voire à rien. Exemples parmi tant d'autres : « So­phie parle beaucoup, touche à tout et se croit bonne à rien. Elle est attirée par les marins.   » « Anne P. garde les enfants des autres. Elle est douce et seule » ; —un portrait multi-facettes d'un mari qu'on dira commun plutôt qu'idéal ; — des saynètes de ménage entre un couple qui n'arrive pas à trouver l'harmonie, même en se le promettant ; 64 tactiques inventées par des femmes pour rester fidèles, avec frustration, mal d'amour et obsessions en prime. Et beau­coup d'ironie. Comme dans celle-ci : « Je me rabats sur le vin rouge et les drogues douces. Les doses ingurgitées me permettent momentanément d'arrêter le présent » ; une série de dialogues cocasses sur la mal-baise, du type : « — Tu ne fais jamais ce que j'aime. — Qu'est-ce tu aimes ? —Tu vois tu ne le sais même pas » ; des  conversations téléphoniques  qui pointent les mésententes et les malentendus entre les amants.
A lire cette énumération, on pourrait penser que l'écrivaine accumule les bons mots comme dans un sitcom télévisé. Peut-être qu'il y a de ça, mais le but n'est pas de di­vertir, plutôt de poser un regard acéré sur la vie amoureuse et ses travers. Ce qu'elle réussit d'autant mieux qu'elle a trouvé l'écriture qui taille au couteau dans le gras des apparences et ne laisse sur l'os que les quelques faits qui disent tout ce qu'on vou­drait cacher. Qui ne le disent pas hautainement, avec des leçons, mais juste avec l'iro­nie qui sied aux blessures : sans rajouter de sel et sans se/nous raconter d'histoires. Sa­lutaire.

Michel Zumkir