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Critiques de livres


LORQUET et MALGHEM
Hôtel des somnambules
Bruxelles
Ed. Luc Pire
Embarcadère
2003
244 p.

Les jeux du désir et du hasard, au pied des tours de béton

Après leur Journal du chômeur, Lorquet et Malghem remettent leurs plumes au diapason pour nous em­mener à l'Hôtel des somnambules. Un été chaud, torride même, le mois de juillet le plus corsé que le quartier des Rosières ait connu, accueille les protagonistes de cette aventure digne du fameux Club des cinq d'Enid Blyton, revisité quelques décennies plus tard, après une certaine libération sexuelle...

Duo d'écrivains, multitude des points de vue : l'aventure se décrit au gré des impres­sions d'une dizaine de « caractères ». Martin Walcourt, prof de français, est le pion principal des narrateurs. Sa liaison avec la ra­vissante Sophie l'amène à investir une belle demeure patricienne. Ce fief abandonné par le vieil acteur Célestin Roos suscite l'envie des voisins du quartier des Rosières. C'est une nouvelle bataille féroce entre les Anciens et les Modernes : les amoureux de la belle maison, seule rescapée d'un urbanisme dévas­tateur et bétonneur, cristallisent la colère des travailleurs des tours qui considèrent ce sou­venir du passé comme un chancre à « net­toyer » pour faire judicieusement place à un parking. Face à Martin, voici donc Bernard Guidon, syndic de la tour voisine et employé du groupe d'assurances La Famille. Il va tout faire pour que le modernisme gagne l'ensemble des Rosières. Tout. Puis, il y a Judith, quinze ans demain et qui clame partout qu'elle en a seize. Judith, les seins affriolants sous le T-shirt léger, qui prend Sophie pour modèle et son père, Pa­trick Dubois, pour un cave. Judith hante les fantasmes de Boris, vingt-cinq ans, un mé­canicien roux dévasté par sa passion pour les gamines. Il passe le plus clair de son temps à réparer une mobylette destinée à Judith, dans le jardin de Martin, sous le vieux pommier.

Joël, sorte d'extraterrestre qui habite le bal­con du 17e étage de la tour des Rosières in­vente l'histoire des habitants de la vieille maison au fil des découvertes de son téles­cope portatif. Malika, une amie de Sophie, créera le lien entre ce jeune homme désa­busé et la faune de la vieille maison. Ma­lika, c'est aussi l'amie de Virgile, l'artiste, celui qui transcrira en fresques les affres de la lutte sans merci.

Face à eux, La Famille. Elle a recruté Félix, le détective qui pue du bec, qui rapporte tout à Robert le mafieux. Pour l'instant, Félix se cache dans le pommier pour mieux observer. Au pied de l'arbre, le chien, Pavlov. Une fête va réunir tous les protagonistes ce soir. Jeff, chanteur des Lézards roses et cousin de Martin, viendra y pousser la chanson­nette ; Carole, la tante de Martin, y fera ses premières armes de psychochose libérée tout juste d'un mariage longue durée. Une fête, alors que les habitants de la maison sont de­venus indésirables aux yeux de La Famille ? Cela ne va pas se passer comme cela ! Non, nous ne gâcherons pas le suspense... Les deux écrivains ont dû s'amuser en inven­tant toutes ces péripéties, compliquant à plai­sir les relations des personnages au fil des vi­sions croisées. La verdeur du langage de Boris flirte avec la préciosité de la tante psy et quinquagénaire, les sentiments balbutiants de Ju­dith avec les thèses pseudo philosophiques de Virgile, la bêtise de Bernard Guidon rime avec la fatuité de Robert. La description enle­vée des relations de voisinage compense la minceur de l'intrigue ; l'humour se joue par­fois au 25e degré. Pourquoi  pas ?

Nicole Widart