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Critiques de livres


Anne-Marie TREKKER
George Sand, une femme qui s'invente
Tellin
Éd. Traces de vie
2004

Passions pour George 

Les célébrations de centenaire, simple, double ou davantage, ont ceci de bon qu'elles entretiennent ou rafraîchissent une mémoire qui ne s'encombre plus guère de dates et qu'elles mobilisent la compréhension d'enchaînements que les caprices de la mode ont tendance à effacer. Elles sont aussi l'occasion de rééditions d'œuvres rares ou oubliées, enrichies de tous les acquis méthodologiques et information­nels de l'historiographie contemporaine. Revisiter George Sand, sa vie, son œuvre, sa correspondance et mettre en lumière le tissu social qui les sous-tend, voilà qui permet de débarrasser sa vision de toute une série de clichés. Mais George s'impose dans un autre registre et, par delà les années, inspire encore des passions qui dépassent la curiosité intel­lectuelle. Trois livres de femmes, sollici­tées à des degrés divers, et qui sont donc très différents, exposent les effets de cette passion persistante, soit sous la forme et avec la rigueur nécessaire d'un commentaire critique de documents, auquel Anne-Marie Trekker consacre son essai, soit plus librement dans le bon­heur de s'inventer un rôle dans la lignée romanesque, comme s'y appliquent Martine Cadière et Pascale Hoyois, qui tentent de donner à l'héritage sandien une nouvelle orientation générique. Quels que soient leur objectif et leur mode d'écriture — éclairer l'œuvre de l'inspiratrice, lui rendre un hommage déguisé ou se divertir en symbiose avec elle —, toutes trois ont un commun la volonté de s'intéresser à la personne Sand tout entière et pas seulement d'examiner l'œuvre d'une artiste ou d'évoquer un destin de femme hors du commun.


Martine CADIÈRE
Sang pour Sand
[s.l.]
Cheminements
2004
228 p.

Chez elles, l'étonnement de­meure, un siècle et demi plus tard, devant la réalisation d'une vie complète et la conquête d'une autonomie sur tous les plans, contre les pesanteurs du sexe, de la naissance, de la famille, du ma­riage et surtout de la société et du contexte historique. L'attitude de Sand face au travail, sa productivité, le réseau d'amitiés dont elle s'est dotée, son sens de l'organisation, sa volonté de briser les tabous conjuguée à un idéalisme à tout crin les impressionne encore. Elles se sont documentées à des sources di­verses, mais c'est à Histoire de ma vie que se prennent de préférence les infor­mations, allusions ou citations. Autre source consultée, la correspon­dance exceptionnellement riche — plus de vingt mille lettres signalées à ce jour. Enfin, les ro­mans et notamment les figures fé­minines, les Lélia, Indiana, Valentine et autres Consuelo n'ont jamais cessé de faire rêver les unes ou d'inspirer les autres. Dans un petit livre serré en un peu moins de cent pages denses, Anne-Marie Trekker fournit un compendium extrêmement précis, utile voire nécessaire pour certains avant d'aborder l'ensemble monu­mental que constituent les œuvres autobiographiques de Georges Sand. L'originalité de cet essai ré­side dans son optique. Comme l'indique le titre, George Sand, une femme qui s'invente, il s'agit bien de montrer qu'on ne naît pas George Sand mais qu'on le de­vient. Et ce n'est pas seulement la formule qui peut rappeler Simone de Beauvoir mais la démarche « résolument contemporaine » qui engage et implique le recours à l'écri­ture pour se construire en tant que femme et artiste.


Pascale HOYOIS
George et Moi
Baudour
Éd. Convaincre
2004
198 p.

 L'autobiographie est le matériau de choix pour observer ce pro­cessus, à condition de démêler les rap­ports entre ce travail d'écriture sur soi et la réalité de l'histoire derrière l'explora­tion et la réflexion subjectives, ce que ne manque pas de faire A. Trekker : elle retrace systématiquement un parcours d'obstacles, depuis la double filiation sociale qui a marqué la naissance d'Au­rore Dupin jusqu'à la maturité de la femme qui a conquis sa liberté symbo­lique et économique grâce à son énergie et à son travail, en insistant sur l'enga­gement de la citoyenne dans les mouvements  sociaux  et  politiques  de  son époque.
La ferveur n'est pas moins grande dans les évocations romanesques. Dans Sang pour Sand, Martine Cadière se rend sur place, à Gargilesse, dans ce lieu bien san­dien du Berry, quoique moins évoqué que d'autres, lieu paisible qu'elle trans­forme et configure aux besoins de son histoire criminelle. C'est une héroïne plus sauvage que la bonne dame de Nohant qui hante ce petit village et engage une jeune Lélia désabusée d'aujourd'hui à s'identifier à elle, mais un peu tard, pour son malheur, ce qui plaira à l'ama­teur de romans policiers et d'humour un peu noir. Quant à Pascale Hoyois, elle place d'emblée son histoire dans un rapport de grande intimité avec l'écrivaine, puisque son roman épistolaire, George et Moi, suit pas à pas le processus d'identification de la protagoniste, avec George Sand : au travers de ses lettres, Alexandra Miret va s'adresser à son idole et lui raconter comment, à son tour, elle s'invente une nou­velle vie, modifiant ses habitudes, son mode de vie, sa socialité, ses choix sexuels, son physique et, pour tout dire, sa personnalité, en stricte conformité avec son mo­dèle. Jusqu'à un certain délire peut-être, mais avec le sourire.

Jeannine Paque