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Critiques de livres


André SCHMITZ
Incises Incisions
Editions Phi
collection Graphiti
Luxembourg
2000

Le murmure du doute

Les preuves sont nulles les signes sont fragiles.

On ne peut pas encore affirmer

que le jour naîtra

que l'horizon ouvrira ses lèvres au soleil

on ne peut rien dire.

On se tait on retient son haleine

on laisse la rosée toucher des paupières

on laisse l'oiseau dire ce qu'il veut.

On attend

on voit l'incertain trembler Entre la cendre et la chaux on a mal à son désir.

(In Une poignée de jours, 1982.)

André Schmitz donne enfin une suite aux Prodiges ordinaires parus en 1991 ! Le moins que l'on puisse dire c'est que le poète n'est pas prolixe : une di­zaine de recueils seulement et, durant les an­nées nonante, seulement une plaquette (Les Cerfs Volants, Tétras-Lyre 1994), une réédi­tion de volumes anciens, Râclements d'ailes, Arbre à Paroles, 1994) et quelques textes en revue. L'été 2000 inverse cette tendance économe puisque paraissent coup sur coup une anthologie et un nouveau recueil. Incise, incisions vient de paraître aux Edi­tions Phi dans la belle et sobre collection Graphiti. Une collection qui fait la part belle à nos lettres puisque sur les trente-cinq titres parus on ne compte pas moins de dix vo­lumes d'auteurs belges. Un peu de pluie entre les dents, l'anthologie, est éditée à Prague aux Editions Protis. Elle est bilingue (français-roumain) et parcourt l'œuvre entière. Elle nous permet de décou­vrir des extraits du premier recueil désormais introuvable et des poèmes qui n'étaient dis­ponibles jusqu'alors qu'en édition bibliophilique.

La tonalité du recueil explique en partie le silence de l'auteur. Toute la première partie met en cause une poésie qui ne tient pas la distance lorsqu'elle est confrontée au réel. Le livre s'inaugure par ces vers : qu'une ser­vante / le reconnaisse et le confonde : / le poème prend honte, il se renie trois fois. An­dré Schmitz refuse toute importance au style : la femme rit / rendant illisible le plus beau des styles et s'excuse par avance d'avoir cédé une fois encore à la tentation d'écrire : des mots viennent se suicider dans ma bouche, j'assure leur famille de ma très vive sympathie. On retrouve la thématique habituelle d'An­dré Schmitz, mais elle apparaît ici comme désenchantée. Les oiseaux et les anges sont toujours présents, mais ils ne symbolisent plus, à défaut de transcendance, cette légè­reté, cette prise de hauteur par rapport au quotidien terrestre et monotone. Désormais les oiseaux apparemment heureux crient au secours ; elle dissimule sous sa robe des oiseaux suicidés ; des oiseaux et des anges / à moi­tié calcinés / sont venus sur notre couche d'amants / nous dire qu'ils venaient / tout droit du ciel/ et qu'il n'y avait rien /à espérer de lui. Les chiens, jusque là compagnons fidèles et compréhensifs : aboient faiblement à on ne sait quoi. La femme et l'amour agressent et déses­pèrent le poète. Le volume regorge de poèmes aux titres explicites : procès, adultère, amant de papier, exilée, envoûtée, la défaite, sans issue. Même le pain aura des saveurs bien faites pour inquiéter.

Ce recueil est aussi un règlement de comptes avec l'au-delà qui empêche défini­tivement de faire d'André Schmitz un poète spiritualiste, voire croyant, un auteur re­poussoir dont la noirceur aurait la vertu de nous rendre et l'espoir et la foi (en l'homme ou en Dieu). Certes le lexique judéo-chré­tien court sur tout le livre, mais il est vidé de sa substance et le poème « Ceci » évoque tout autant, et avec ironie, l'eucharistie et la publicité pour le Boursin. On était du reste fixé depuis longtemps. Un poème des Pro­diges ordinaires éclairait déjà parfaitement la démarche poétique d'André Schmitz : L'homme que vous voyez / à genoux / ne croyez pas qu'il prie. / Il fait de sa vie / maladroitement / un paquet / qu'il remettra ce soir / à la mort.

Les poèmes de la dernière partie renouent avec un peu plus de légèreté et décompo­sent les émotions et les sensations d'un bai­ser et des instants qui le précèdent et lui succèdent. Le dernier texte, «Graffiti», est à la fois un clin d'œil au titre de la collection et la définition d'un poème qui tombe au bas de la page telle une signature illisible. André Schmitz est un aquoiboniste qui ne s'illusionne pas sur l'impact de la sa poésie. Le titre est éloquent qui nous renvoie aux segments grammaticaux secondaires (in­cises) et aux blessures sans gravité (inci­sions). Ces poèmes au lyrisme discret et douloureux, joliment ponctués par les illus­trations de Roger Bertemès, n'en sont pas moins délectables.

Thierry Leroy

André SCHMITZ, Un peu de pluie entre les dents, Editions Protis, Prague, 2000 (on peut se procurer ce volume au Service du livre luxembourgeois). A noter également la réédition du numéro spécial de l'Arbre à Paroles consacré à André Schmitz, 226 p.