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Critiques de livres


François EMMANUEL
La chambre voisine
Paris
Stock
2001
190 p.

Prisonniers du silence

On n'épuisera jamais le thème du se­cret de famille farouchement en­foui, qui mine une maisonnée et simultanément, au-delà des soupçons, des affrontements et des blessures, la lie et, même, la ligote. Prisonnière de ses silences étouffants, d'une zone d'ombre que trouent parfois des intuitions inquiètes, mais qui se referme aussitôt, opaque, impénétrable. Dans son dernier roman, La chambre voi­sine, qui n'est pas sans subtiles correspon­dances avec des titres précédents, tels Le tueur mélancolique et La passion Savinsen, François Emmanuel joue savamment du mystère, du non-dit, du feu qui couve, de la menace qui plane.

Il nous conduit d'abord dans l'immense de­meure austère de Seignes, où l'on ne parle ja­mais d'amour (nous n'avons pas cette habitude) et où l'arrivée d'un étranger, un jour brûlant d'été, cristallise les questions qui tourmentent Ignace, le narrateur, adolescent sans confi­dent, entre une mère veuve aux tendresses rares, une grand-mère autoritaire et butée, bloc de rancune haineuse, un oncle attardé, grand diable plein de lubies et d'élans mala­droits, et surtout une sœur Maud, dix-neuf ans, qui, depuis la disparition brutale de sa jumelle Else, trois ans auparavant, lors d'un voyage familial à Oszkina, en Pologne, se mure dans un mutisme glacé. Le deuxième épisode nous emmène à Osz­kina où, quatorze ans après, Ignace cherche — et retrouve — la trace d'Else. Ce drame en trois actes se dénouera cinq ans plus tard, à Seignes, au chevet de la mère qui se meurt. Else, revenue enfin dans la maison de sa jeunesse, livre à Ignace, en quelques mots arrachés à une douleur sans fond, le pourquoi de sa longue et torturante absence...

Tenu en haleine, mais aussi à une certaine distance des personnages, par leur retenue même, leur intime solitude, chacun rôdant silencieusement autour de la vérité sans oser la débusquer, on apprécie la construction rigoureuse, maîtrisée, de l'intrigue (trop) romanesque. L'écriture altière, précise, ferme, élégante, légèrement guindée. Sans se sentir étreint, ému, atteint.

Francine Ghysen