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Critiques de livres


Patrick LOWIE
La légende des amandiers en fleur
Editions Labor
coll. théglacé
2003
150 p.

Cap sur le bonheur

Emblématiquement. Comparons l'ou­verture des deux premiers romans de Patrick Lowie, Au rythme des déluges et La légende des amandiers en fleur, tous deux parus dans la collection « théglacé », la collection gay, lesbienne, bi, transgenre des éditions Labor. Précisons tout de même que les deux livres peuvent se lire indépendam­ment l'un de l'autre. Chacun commence à Lisbonne. Dans le premier, Pedro regarde, depuis sa fenêtre, les bateaux traverser et re­traverser le Tage, ce fleuve dont l'eau res­semble à la mer. Dans le second, il n'est plus spectateur, il est sur l'un d'eux, à traverser et retraverser. Et c'est là, dans ce mouve­ment, qu'il va se décider à partir vraiment, et ne plus se contenter de voyages immo­biles. Partir à cause de la mort d'un ancien (mal-)aimé, exécuté en Inde, probablement à cause de son homosexualité. Le temps de laisser passer encore quelques mois et de se débarrasser (dans la mesure du possible) de quelques affaires en cours et de s'embarquer pour le Maroc.

Rabat. Marrakech. Ouarzazate. Le Sahara. Un périple parfois chaotique — avec des avancées et des reculées — raconté avec ar­rêts sur image. Sur des scènes glanées ça et là, et des rencontres magiques comme il n'en arrive que lorsqu'on bourlingue seul. Une traversée tant géographique qu'inté­rieure (une quête de soi). De la ville maro­caine la plus européenne (la moins étran­gère) à l'immensité du désert. De la mort à la vie. Un voyage qui bascule quand Hassan II meurt et que Mohamed VI monte sur le trône, symboliquement à la (presque) moitié du roman. Quand le Maroc retrouve l'es­poir. Et Pedro d'en récolter plus de force, de détermination pour aller dans le Sahara où il s'éprendra d'un homme beau comme un prince du désert et vivra un amour digne des plus enrichissants voyages. Qui se nourris­sent de la durée. Quatre années, Pedro at­tendra le premier baiser de Zakaria. Quatre années pour un amour contre-nature célébré par la nature elle-même. La formule est de Patrick Lowie, elle est belle (comme le sont beaucoup de ses phrases courtes, de la même famille que celles d'Yves Navarre et de Marguerite Duras), d'autant plus belle qu'elle vient conclure tout un travail romanesque autour de la légende des amandiers que Pedro a dû oublier afin de la vivre, lui. Cette légende, née dans le Sud du Portugal « ra­conte qu'un roi maure avait ordonné la plantation de milliers d'amandiers pour une princesse des pays du Nord dont il était tombé follement amoureux. Mais la prin­cesse se languissait des collines enneigées de son pays. Un matin de février, il l'emmena à la fenêtre pour lui montrer le tapis blanc comme neige qui recouvrait la terre — les merveilleux pétales des fleurs d'amandiers. Ils furent heureux et eurent beaucoup d'en­fants... » Pedro et Zakaria n'auront pas beaucoup d'enfants, mais un seul, trouvé après un carnage effrayant dans un village d'Algérie. Car La légende des amandiers est aussi un roman avec une vision politique du monde. Contre les sociétés où sévit la vio­lence. La consommation. Contre l'impéria­lisme américain. Un roman qui nous laisse l'espoir d'une place pour chacun d'entre nous. A condition d'entreprendre le voyage qui mène jusqu'à elle.

Michel Zumkir