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Critiques de livres


GUDULE
La mort aux yeux de porcelaine
Paris
Flammarion
2001
230 p.

Un roman à risques

Après avoir refermé La mort aux yeux de porcelaine de Gudule — qui cette fois ne publie pas pour les grands sous le nom d'Anne Duguel mais sous celui dont elle signe ses œuvres pour la jeunesse — on est époustouflé, on s'interroge : com­ment a-t-elle fait pour nous emmener jusque-là, avec quels trucs et quelle dextérité ? Alors on relit les deux pages liminaires et on se rend compte que tout y était : le parc, le vieil homme, la jeune fille, l'enfant, et la scène qui manque à la compréhension totale de l'histoire. En écrivant cela, on ne déflore rien — on va tenter d'ailleurs d'aborder ce roman en en disant le plus et le moins possible, pour préserver l'aventure de la lecture. Avant d'en écrire le meilleur, il nous faut avouer qu'avec les premières pages, on s'est mis à craindre le pire, et que le livre nous est presque tombé des mains. Il sentait la thèse pseudo-sociologique et moralisatrice, mal écrite à force de vouloir l'être bien (les adjectifs pullulaient sous la plume de Gu­dule). Mal pensante à force de vouloir l'être bien. On se trompait ; peut-être qu'on était déjà mené en bateau. Le genre adopté n'était pas celui que l'on croyait, plutôt un roman noir à suspens qu'un livre opportuniste sur les crimes pédophiles qui ont se­coué la Belgique, qu'une divagation de pa­cotilles dans le monde du showbiz. Tout est beaucoup plus subtil que cela. La mort aux yeux de porcelaine alterne donc deux histoires. L'une tourne autour d'une bande d'enfants qui ont bien assimilé qu'il n'existe qu'une et une seule sorte d'indivi­dus dangereux : les pédophiles. Sauf qu'ils ne savent pas exactement ce que c'est. Dans la cour de récréation, ils ne cessent de s'interroger, d'imaginer. Après l'école, ils n'osent plus aller jouer au parc, ils préfèrent rentrer sans traîner à la maison. Ils sont tel­lement traumatisés que l'un d'eux finira même par. L'autre histoire est celle d'une créature chantante, sorte de croisement entre Elvis Presley (pour l'érotisme dégagé) et Michael Jackson (pour le corps trans­formé et blanchi), une sorte de Marilyn Manson de la fin des sixties, en quelque sorte. Quand il n'est pas sur scène, en pleine lumière, il vit reclus, mélancolique. Il passe ses nuits seul, dans la blessure d'un amour passé et déchiré. Ou avec des gar­çonnets qu'on lui amène. Que plus tard on lui construira. Mais n'allez pas imaginer que ! Il ne se livre à aucun attouchement vi­cieux sur eux. Il ne fait que les aimer de son cerveau-tombeau, qui ne peut oublier. Jusqu'à ce que. Si, pendant longtemps, on peut penser que ces deux histoires avancent en parallèle, elles ne cessent, imperceptible­ment, de se rapprocher, pour finir par se précipiter l'une dans l'autre. Le passé a fini par rejoindre le présent. Et le dérèglement ne venait peut-être pas d'où on le pensait. Le tour de force est déjà énorme. On n'en dira pas plus. Juste que Gudule a réussi à fuir la moralité politiquement correcte sans jamais tomber dans le cynisme contraire, dans la provocation vaine, à trouver une li­berté d'imagination et de morale en puisant à l'un des plus grands traumatismes qu'a connu la Belgique, qui continue à la trou­bler. Ce roman pourrait-il être un antidote, un médicament pour retrouver une libre pensée ?

Michel Zumkir