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Critiques de livres


Charles BERTIN
La petite dame en son jardin de Bruges
Actes Sud
« Un endroit où aller »
Arles
1996
160 p.

Classique et sage comme un livre d'images

II arrive souvent, paraît-il, qu'avançant en âge, les hommes se penchent sur leur enfance et sur cette part de sortilèges un peu enfouie qu'elle continue néanmoins de distiller de façon singulière pour chacun d'eux. S'ils sont écrivains, ils s'attellent à leurs Mémoires ou composent une chro­nique de gracieuse facture, évoquant un épi­sode marquant, une figure emblématique, et cherchant à rendre la saveur spéciale des petits gestes de ces années-là. Le dernier roman de Charles Bertin ou, plutôt, son dernier récit, La petite dame en son jardin de Bruges, ne boude aucun des ingrédients nécessaires à la réussite de ce type d'entre­prise. On y rencontre la grand-mère com­plice des plaisirs de son petit-fils, la nature au temps des vacances (qui est aussi celui des fruits rouges et des insectes bourdon­nants), une maison enchanteresse aux allures de cachette, elle-même située dans la plus proche de nos villes exotiques : Bruges. Classiques heures de lecture sous les arbres, échanges de livres, escapades ménagères et touristiques dans une cité dont les chantournements rendent encore plus exaltants les rares voyages en ligne droite vers la mer... Leçons de vie où l'on ne sait plus tout à fait qui est l'aîné ou le cadet, l'initiateur ou l'élève, qui le naïf et qui le sage. Nourris­sant l'ambition d'évoquer la figure de son aïeule, Charles Bertin a donc choisi de lui prêter le décor des quatre ou cinq étés qu'il passa seul avec elle alors que, veuve d'un agent des chemins de fer, elle jouissait d'une retraite flamande agrémentée d'un luxuriant jardin. Car c'est là, évidemment, qu'ils vécurent en concentré les plus beaux moments de leur histoire d'amour. Et c'est là, aussi, que la sensation d'éternité propre aux instants de bonheur tira tout son prix de la précarité de leur situation. Ballottée sa vie durant d'un endroit à l'autre de la Belgique, Thérèse-Augustine n'ignorait pas, en effet, que sa période brugeoise était comptée et qu'elle devrait tôt ou tard l'abandonner pour un logement moins magique. Ce serait, en l'occurrence, un appartement bruxellois, et ce serait sa fin, la mise au cer­cueil de son corps « devenu si menu qu'il pesait à peine le poids d'un petit enfant ». La Petite dame en son jardin de Bruges est bien sûr un hommage rendu à celle sut par­tager les premières joies littéraires du futur écrivain, leur donner corps, les charger en émotions précieuses pour la suite de sa car­rière. Mais il est d'abord un chant d'amour adressé à une personne tendre et un peu coquine, dont on sent voltiger l'esprit au-dessus des phrases, à l'écoute, quasi prêt à parler : « Vous m'avez appris lorsque j'étais enfant qu'il fallait fermer les yeux et serrer les poings de toute son âme quand on dési­rait quelque chose avec intensité. J'ai fermé les yeux et je serre les poings avec tant de force que j'en ai mal aux jointures. O ma petite dame, ô mon petit cœur, quand me ferez-vous le signe que j'attends ? » C'est cer­tainement le charme principal de ce livre que d'avoir su si bien rendre, avec tant de naturel et comme sans y travailler, l'émerveillement de l'enfant dans la tête de l'adulte, la féerie de ses visions d'alors et les ressources inouïes de ses yeux presque vierges.

Françoise Delmez