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Critiques de livres

Joël Lapière
Le Frituriste
Bruxelles
Le Grand Miroir
2007
137 p.

Une portion de chaleur humaine, sauce fantaisie
par Michel Zumkir
Le Carnet et les Instants n° 147

Il est des auteurs qui arrivent à nous faire croire au plus invraisemblable, et n'ayant l'air de rien, c'est ce que fait Joël Lapière, un écrivain déjà connu pour ses romans pour enfants (Un sillon dans la boue, Un câlin pour Petit Monstre…). S'il n'invente pas un monde extra-terrestre ou une utopie politique, on est tout de même peu habitué à ce qu'un (anti-)héros de roman (francophone) devienne propriétaire d'une friterie, d'autant plus s'il est gay et souffre de la mort accidentelle de l'homme (Marin) qui était toute sa vie. De cet endroit sale et graisseux – elle n'est pas particulièrement ragoûtante, plutôt délabrée, la friterie qu'Etuve a achetée, et au début il ne fait rien pour la rendre plus accueillante, «l'endroit est laid, mais je décide d'ouvrir ma friterie telle qu'elle» –, va naître un monde raffiné, musical, féerique, un monde où l'amitié et l'amour feront des miracles. Cette belle aventure n'aura malheureusement qu'un temps (mais c'est toujours ça de pris), la mort viendra à nouveau frapper, et cette fois, Etuve n'y survivra pas, il ne pourra que mourir à son tour. S'il oublie parfois les raisons qui l'ont poussé à acheter cette friterie, il sait qu'elle l'aide à tenir debout et à faire équipe (amitié) avec Marcel, représentant en sauces diverses et Adèle, qui a pris le voile (catholique) pour échapper à un mariage arrangé, chez elle, au Liban («Adèle est entrée au couvent pour détourner un mariage, elle y a découvert son propre amour»). Ensemble, ils vont transformer la friterie en un cabaret chantant et un lieu gastronomique qui «assure un tour complet du terroir au travers des sachets de frites», ainsi elle deviendra la première friterie a obtenir une étoile et devenir un endroit si chic qu'y sont clients les gens les plus huppés… Dans sa remise au monde, Etuve acceptera d'adopter un enfant avec Adèle, une petite Marine venue d'Asie. Pour se faire, Marcel les aidera à obtenir un faux certificat de mariage. Cette fois, le bonheur aurait pu être au rendez-vous, il ne le sera pas… Commençant et finissant dans la gravité, Le frituriste dégage en nombre de ses pages une joyeuse fantaisie. Et bien que l'on puisse regretter que certains passages se transforment en exercices de style, l' auteur réussit parfaitement à faire cohabiter une prose quasi documentaire sur le métier de marchands de frites («frituriste», comme il dit, d'un néologisme un peu barbare) et une imagination débridée qui lui fait inventer des êtres féeriques tels qu'il en existe dans les romans médiévaux. En refermant le livre, on se prend à espérer qu'un metteur en scène de cinéma tombe sur ce roman-là pour en faire un joli film du genre de ceux qui ont, récemment, connu un succès inattendu, C.R.A.Z.Y. ou Little Miss Sunshine, des films dont se dégagent une généreuse humanité.