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Critiques de livres


Luc HONOREZ
La séance était trop courte
Bruxelles
CFC-Editions
2003
224 p.

Cinémoi

Dans une brève interview accordé à l'auteur en 1998, le grand réalisa­teur Abbas Kiarostami affirme : « Si j'étais rédacteur en chef d'un quotidien, j'ordonnerais ceci à mes critiques : "N'écri­vez que sur les films que vous aimez". » Et il poursuit : « Je ne critiquerai jamais un spec­tateur qui trouve son bonheur dans des stu­pidités filmées. C'est son droit. Comme le mien est d'aimer les mises en scène subtiles. Tout film doit être commercial. Mais pas prostitué ! »

Fort de ces paroles pleines de sagesse, on ad­mettra donc aussi qu'il y ait place, dans le panorama de la critique cinématographique, à côté de savantes analystes universitaires, de prises de position en faveur d'un cinéma mi­litant ou de pamphlets à la Noël Godin, pour une approche impressionniste, subjec­tive, parfois légère du septième art. La séance était trop courte appartient indubitablement à cette dernière catégorie. Luc Honorez est journaliste au Soir et auteur de plusieurs ou­vrages (L'ouvreuse aux bas de soie, L'écran de papier, ainsi qu'une monographie consacrée à André Delvaux et une pièce de théâtre). Le livre qu'il publie rassemble plusieurs décen­nies de rencontres avec des films, des acteurs, des réalisateurs. La table des matières a de quoi donner le tournis. Y défilent, en un ver­tigineux « carrousel aux images », tous ceux qui font le cinéma contemporain, et quel­ques glorieux ancêtres. Un manège enchanté dont Luc Honorez se révèle le machiniste, le grand ordonnateur, et nous les spectateurs émerveillés. Le monde est comme un festival permanent où, sur fond de piscines, de pa­laces, de plantes vertes ou de tapis rouges, se croisent et se recroisent sans fin les figures fascinantes de la machine à illusions.

Cette circularité prend volontiers la forme suivante : un film, un cinéaste valent moins par ce qu'ils représentent en eux-mêmes, que par les références qu'ils permettent de faire à d'autres films, d'autres cinéastes. Ainsi, à propos de Parle avec elle d'Almodovar, sont tour à tour convoqués les mélos flamboyants de Vincente Minnelli, Vertigo de Hitchcock, Rio Bravo de Howard Hawks, Coups de feu dans la Sierra de Sam Peckinpah, Bergman, Bunuel... Ou bien, sous le titre significatif « Et si Jan Bucquoy était tout le cinéma belge ? », il cite à son propos les frères Dardenne, Boris Lehman, Chantai Akerman, Benoît Mariage, Alain Berliner, Frédéric Fonteyne, Dominique Deruddere, Jaco Van Dormael, André Delvaux et Henri Storck, dont Jan Bucquoy serait l'harmonieuse (quoique grinçante) synthèse. Reste à souhai­ter que l'intéressé prenne cette énumération comme un compliment (à lui tout seul, il les vaut tous) plutôt que comme une forme de négation (étant tout le monde, il n'est per­sonne en particulier).

Les perles — car ce livre en contient un certain nombre —, on les trouvera surtout dans les propos recueillis auprès des réalisateurs (réali­satrices), et de certains acteurs (actrices). Car lorsqu'Alain Resnais ou Emmanuelle Béart, David Cronenberg ou Jodie Poster s'expri­ment, on peut s'attendre à ce qu'ils aient des choses à dire. Du dernier, par exemple, ces justes paroles : « Grandir en sagesse et, peut-être, en talent pour un cinéaste consiste, sans doute, à enlever de l'écran tout ce qui n'est pas nécessaire pour la communication avec le pu­blic. Plus un film est "maigre" [...], mieux il est ! » Ou de Catherine Deneuve, ce propos d'une paradoxale drôlerie : « Depardieu répète partout que je suis... l'homme qu'il aurait aimé être ! » Si l'on peut regretter certains poncifs (« Nous sommes tous des poussières d'étoiles » ou « Les grands cinéastes sont des phares qui éclairent l'obscurité de pensées et d'émotions qui tourbillonnent en nous »), ou les limites de la réécriture d'interview (Marie Gillain : « Un acteur [...] doit provoquer la désirance des artistes » ; Sandrine Bonnaire : « Aujourd'hui, même mon gros orteil droit acte1 »), si l'on peut s'agacer devant une ico­nographie en forme d'autocélébration (L.H. avec Pierre Richard ou François Truffaut, une lettre d'André Delvaux à L.H., un dessin de Terry Gilliam à L.H., la table de travail de L.H., la machine à écrire Underwood de L.H....), on saura gré à Luc Honorez de reconnaître en Bresson, Demy, Tati et Resnais les réalisateurs français les plus importants de la deuxième moitié du XXe siècle, de manifes­ter sa sympathie envers des réalisateurs margi­naux ou réputés difficiles et de prendre, à l'oc­casion, des positions courageuses face à la marchandisation du cinéma.

Daniel Arnaut

1. De même, on s'étonne un peu de trouver, à trois pages d'intervalle, la même citation de Nietzsche (« Tout ce qui ne tue pas rend plus fort ») dans la bouche de Nicole Kidman et de... Marie Trintignant.