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Critiques de livres


Bernard TIRTIAUX
Le Puisatier des abîmes
Denoël
1998
286 p.

La puissance du feu

Après le Moyen Age, c'est le futur, le futur proche, qui fascine Bernard Tirtiaux, avec, toujours en regard, la captivante lumière, l'attrait des flamboie­ments : ici, dans Le Puisatier des abîmes, paru chez Denoël, le magma terrestre rem­place le vitrail du précédent Passeur de lu­mière.

Futur proche : l'histoire pourrait avoir lieu demain, après-demain... La terre ressemble à celle que nous habitons, les personnages sont proches des êtres humains que nous côtoyons tous les jours... Les dictateurs usent de méthodes habituelles, les euro­crates polémiquent sans fin, la science est photographiée dans un état plutôt actuel, images de synthèse et jeux de montages té­lévisés ne semblent guère avoir évolué de­puis les possibilités que nous connaissons aujourd'hui. Despotisme, menace de dictature, univers orwellien, men­songes, pollution : les problèmes que notre quotidien soulève sont là et bien là.

Tout bascule lorsqu'apparaît le Pui­satier des Abîmes. Voici qu'il libère notre monde de ses charniers radio­actifs, de ses plaines hirsutes constel­lées de détritus, voici qu'il panse les plaies de la terre. Quand personne encore n'y songe, Alexandre Carvagnac trace déjà les contours de sa lé­gende et propose d'évacuer toute cette pourriture sans nom qui pollue notre vie, en la basculant dans les cavités magmatiques au cœur de la lithosphère, par le chemin de puits vertigineux qu'il aurait lui-même creusé. Il suffit qu'un tel savant illuminé rencontre un financier idéaliste pour que le projet s'emballe et que la Nielsen Depol Foundation le concrétise. C'est la conquête d'un nouveau monde : cinq ans plus tard, à Hevelig, en Eifel, des spéléoscaphes habillés de carbone s'enfoncent dans les entrailles de la terre dans le puits d'El Ksour et inventent une voie nouvelle pour purifier le monde de ses miasmes. Après Hevelig, ce sera l'Ukraine et ses dé­potoirs nucléaires.

Mais la voie vers la purification ne sera pas royale, et le rêve tourne au cauchemar : après de nombreuses années d'efforts couronnés de succès, les Carvagnac sont arrêtés par un dic­tateur, Borganov, et menacés de mort... Cependant, à côté du scientifique de génie, Carvagnac est aussi un homme, un mari, un père. Sa femme, Tamara, l'accompagne dans toutes ses aventures ; elle aussi est géo­logue. Leurs enfants, Marjorie et Clovis, les suivent partout. Et leur troisième enfant, Antonin, olivier tordu, victime innocente de la radioactivité ukrainienne, en fera de même à sa façon. Ce livre, c'est l'histoire d'Antonin, en fait. La légende paternelle, c'est lui qui la construit. Seul, dans son fau­teuil roulant, devant ses tables de montage, il reconstruit pendant sept ans une vérité virtuelle qui inonde les chaînes de télé et va peut-être sauver ses parents de la geôle où les détient le dictateur Borganov. Celui que les services secrets du tyran décrivent comme « une plante timorée » va en fait peut-être à lui seul déjouer des plans diabo­liques...

Science-fiction, polar, pamphlet écologique, jeu de la vérité et du mensonge à l'ère de l'image de synthèse : Le Puisatier des abîmes croque allègrement tous ces thèmes à la mode. Un peu trop allègrement pour être vraiment convaincant ! Quelques invraisem­blances scientifiques, un certain manque de projections dans l'avenir (à l'époque où le puisatier a nettoyé la terre, on devrait pouvoir empêcher l'explosion à distance des micro-bombes fichées dans le cerveau, une simple cage de Faraday y pourvoirait), des dé­faillances dans le récit empêchent cette histoire de rejoindre le rayon des ouvrages bien ficelés qui plon­gent le lecteur dans un univers cohé­rent et le mystifient complètement. Restent près de trois cent pages alertes, au style qui oscille entre fa­milière simplicité et descriptions chargées et baroques, de quoi passer très agréablement une après-midi d'automne... au coin du feu.

Nicole Widart