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Critiques de livres


André-Paul DUCHATEAU
Knokke-sur-Mort
Quorum
1999
209 p.

Polar &Co.

Auteur d'ouvrages didactiques sur les genres policier et fantastique, Marc Lits remet le couvert avec Le roman policier : introduction à la théorie et à l'his­toire d'un genre littéraire. L'essai est moins vaste que son intitulé le laisse supposer, puisque l'auteur en limite d'emblée le champ au récit à énigme du domaine fran­cophone (à l'exclusion, donc, du thriller et du roman noir). Il est bien entendu légitime et pertinent, s'agissant d'un genre aussi mul­tiforme, de se donner un objet d'étude pré­cis ; en outre, le corpus en question est suffi­samment homogène pour mériter un livre à lui seul. Néanmoins le titre aurait pu an­noncer plus franchement la couleur. Cela étant, l'étudiant trouvera ici une bonne synthèse pédagogique du genre en visage dans son développement historique, ses caractères sociologiques et ses constantes formelles, enfin dans ses liens avec le mythe, les genres connexes et la littérature en général.


Marc LITS
Le Roman policier : introduction à la théorie et à l'histoire d'un genre littéraire
Editions du CEFAL
1999
208 p.

Il y apprendra que, surgeon du roman populaire ayant conquis peu à peu son autonomie, le roman policier est apparu au milieu du XIXe siècle en Amérique (Poe), en Angleterre (Wilkie Collins) et en France (Gaboriau). Que cette naissance ne doit rien au hasard puisqu'elle coïncide avec l'avènement d'un nouveau cadre de pensée (le rationalisme scientifique), le développe­ment de la civilisation industrielle et de la grande urbanisation, de même qu'avec la création des premiers corps policiers et des méthodes d'investigation moderne. Il y trouvera une analyse claire de son organisa­tion structurelle (un récit double qui masque autant qu'il dévoile, et satisfait l'at­tente de son lecteur tout en rusant conti­nuellement avec elle). D'où il conclura que le récit d'enquête, en tant qu'il semble « le comble de tout acte narratif » (Jacques Du­bois), peut être vu comme un modèle du récit tout court et un modèle d'apprentissage de la lecture ; et enfin que le roman policier est le genre moral et même méta­physique par excellence, orienté vers le dé­chiffrement du réel, la recherche du secret et sa révélation, et chargé d'exorciser nos peurs face au sang, au crime et à la mort.


Jean-Baptiste BARONIAN
Parmi tant d'autres crimes
Les Belles lettres
coll. « Le Cabinet noir »
1999
185 p.

Loin du roman à énigme, les histoires de Parmi tant d'autres crimes s'apparentent plu­tôt à ces récits d'angoisse qui firent les beaux jours de l'éphémère « Série blême ». La jalou­sie et l'adultère souvent, la folie qui n'est ja­mais bien loin, la politique en une occur­rence, voilà ce qui motive les criminels de Jean-Baptiste Baronian, dont les uns sont des déments homicides et les autres des assassins accidentels, dont les suivants machinent le crime parfait avec des bonheurs divers tandis que les derniers sont hantés par la culpabilité œdipienne. Les treize nouvelles qui compo­sent ce recueil tiennent en haleine par leur caractère d'histoires à chute, tendues vers un retournement final astucieux ou horrifique, ironique ou amer, toujours (ou presque) inattendu. Mais elles nous happent bien plus sûrement par une qualité d'angoisse, redi­sons le mot, qui étreint les héros à la façon d'un nœud coulant. Baronian a l'art de sus­citer le malaise, le trouble, les sentiments équivoques avec une grande économie de moyens. L'écriture sobre installe immédiate­ment l'atmosphère irrespirable d'un village, ou bien encore fait insensiblement basculer la banalité quotidienne (une querelle de mé­nage, un trajet d'autobus, des vacances à la mer, une attente au cinéma) dans une am­biance de cauchemar oppressant, flirtant par­fois avec le fantastique. Le crime n'est jamais éloigné de la normalité, il en est même l'es­sence cachée. Garçon, vous nous en remet­trez une douzaine.

Né de la plume prolifique d'André-Paul Dû-château, romancier et scénariste de bandes dessinées (pour l'inusable Rie Hochet, no­tamment), Knokke-sur-mort, pour sa part, est un hybride de roman noir (avec bon vieux privé désabusé) et de thriller carré, genre dont Frédéric Dard définit un jour plaisam­ment la formule : « une énigme, du sadisme, un suspense savamment entretenu ». L'énigme met en jeu un nombre raisonnable de cadavres, des incendiaires sévissant sur la côte nord, un trafic de matériel pornogra­phique, un couple malfaisant de gosses de riches et un obscur complot politique dont on veut faire porter le chapeau à un écrivain raté, lequel sert de nègre à un politicien affai­riste en fin de carrière. Le sadisme, de nature principalement sexuelle, nous vaut des mo­ments de gradation croissante dans l'abomi­nation (persécution téléphonique de la com­pagne de l'écrivain, sévices traumatisants perpétrés par un psy­chopathe sur une auto-stoppeuse, autres sévices commis sur la victime d'un kidnap­ping) et d'autres plus gratuits (décapitation d'un bouc émissaire, sur une plage, par un groupe de motards). C'est du côté du sus­pense que le livre pâtit. D'abord parce que l'identité des cou­pables ne fait rapide­ment aucun doute. Ensuite parce que les considérations sur la corruption des élites et les explications né­cessaires à la relance de l'intrigue sont sou­vent plaquées sur la narration au lieu de faire corps avec elle. Enfin parce que l'écriture, efficace sans excès de subtilité, n'évite pas les clichés et peine à donner de l'épaisseur au décor, au drame et aux caractères. Si bien que l'ensemble, mal­gré l'intérêt des ingrédients, ressemble plus à une novellisation de scénario qu'à un roman. Sera-ce assez pour distraire le navetteur au long des retards ferroviaires qui sont son lot quotidien ?

Thierry Horguelin