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Critiques de livres


Yun Sun LIMET
Les candidats
Paris
Ed. de la Martinière
2004
235 p.

Elle aussi a une histoire

Autant le dire d'entrée de jeu, difficile de ressortir du premier roman de Yun Sun Limet (écrivaine belge d'origine coréenne, vivant à Paris) sans avoir versé des larmes, refait (un peu) le bilan de sa vie, sans s'être demandé comment elle serait remise en question s'il nous arrivait quelque chose comme ça — mais peut-être qu'il nous est déjà arrivé quelque chose comme ça, ou quelque chose du même ordre. Ce quelque chose comme ça, il s'agit, dans Les candidats, d'un accident de voiture, d'un véhicule préci­pité contre un arbre. Un couple y meurt (lui médecin de campagne, elle sans profession, peintre par passion) en laissant deux enfants orphelins, Jean et Marie, respectivement huit et quatre ans. Que vont-ils devenir, qui va les garder, assurer leur éducation, raccommoder leur vie brisée ? La grand-mère, la tante ? La logique familiale voudrait cela. Mais les pa­rents en avaient décidé autrement, avaient déposé un testament où figurait une liste de noms, ceux de quatre couples d'amis à qui ils demandaient de s'occuper de leur progéni­ture en cas de malheur. Il fallait suivre l'ordre de la liste, avec possibilité pour chacun de re­fuser. Qui refuserait ? Personne. Au départ, personne. Au final, tous les protagonistes. Les candidats suit l'histoire de trois de ces cou­ples, en donnant successivement la narration à chacun d'entre eux (à l'un des membres de chacun d'entre eux, plus précisément). Il ne s'agit pas de monologues intérieurs, mais de trois narrations en je, racontant d'une part cette adoption particulière et d'autre part l'histoire du couple. Toutes trois sont écrites dans un style précis, avec des phrases concises, poétiques parfois, justes toujours, des phrases qui creusent l'intériorité des per­sonnages, les difficultés à vivre cet événement et/ou à exister. Des phrases qui provoquent l'empathie du lecteur. Ces premières parties finissent par tisser un roman générationnel des gens entre trente et quarante ans, déjà lancés sur le chemin de la vie, avec certains des rêves perdus en cours de route. Des gens aux prises avec le concret de l'amour, quand l'amour idéal et l'idéal de l'amour doivent ap­prendre à composer avec l'autre, avec la fa­mille à fonder (ou pas), avec le monde du tra­vail (s'immisçant jusque dans l'intimité). Nous ne dirons rien de ce qui a empêché l'adoption de ces enfants si ce n'est que la bonne volonté de chacun a pu être entravée par la douleur d'une famille endeuillée (à moins que ce ne soit par la folie familiale), par un mariage qui se défait, des déboires au travail, mais dire cela c'est déjà en dire trop. Ce qu'on pourra révéler, c'est que la qua­trième narration, beaucoup plus courte que les autres (à peine quelques pages) est prise non par le dernier des couples mais par Marie, bien des années plus tard, quand elle est devenue femme. Elle y raconte sa redécou­verte de la maison natale, la douleur d'avoir trop peu de souvenirs de ses parents (trop pe­tite qu'elle était quand ils sont morts) ; elle parle de son frère parti vivre loin, loin du poids du passé. Elle y dit surtout qu'elle a été heureuse malgré tout, malgré tout ça. Et nous de penser que c'est elle qui a peut-être écrit tout le livre, avec ce qu'elle avait appris de ces trois couples, de ce qu'elle a pu imaginer sur eux. Ou qu'il a été écrit pour elle, pour qu'elle ait, elle aussi, la souvenance d'une his­toire, une histoire de petite fille. Mais ce ne sont que suppositions à discuter. Ce qui est sûr, c'est que ce très beau livre, malgré les constats terribles qu'il peut faire sur la vie, nous dit qu'elle vaut la peine d'être vécue, que du bonheur est possible. Même s'il risque d'être fauché à tout moment.

Michel Zumkir