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Critiques de livres


Arnaud de la CROIX
Les Templiers. Au cœur des croisades
Editions du Rocher
2002
297 p.

Les Templiers, moines soldats ?

Je ne suis pas historien. Que, dès lors, on n'attende pas de moi un arbitrage entre contempteurs et thuriféraires (ou nostalgiques) des Templiers. Arnaud de la Croix lui-même (serait-ce un pseudonyme ? si ce n'est le cas, l'auteur ne pouvait guère espérer échapper à son destin d'historio­graphe de l'ordre du Temple) termine son ouvrage sur ce qui ressemble fort à un constat d'impuissance : « La question de la culpabilité ou non des Templiers, nous l'avons vu, n'a pas trouvé de réponse vérita­blement satisfaisante, et n'en trouvera sans doute jamais. » Le souci du « médiéviste par passion », par ailleurs philosophe, était autre, et double : retourner aux sources pour conter l'histoire de façon différente, et « voir en quoi [elle] nous concerne toujours aujourd'hui. »

L'histoire de l'ordre en filigrane de celle des croisades — telle est la nouvelle approche. L'examen des confrontations médiévales entre islamisme et christianisme, lointaines prémices de celles qui nous inquiètent — c'est enregistrer les soubresauts d'un séisme. De la belle ouvrage : pas un soupçon de pédantisme savant, des démonstrations d'au­tant plus séduisantes que l'auteur ne rougit pas de ses quelques aveux d'ignorance, des échappées éclairantes tant sur la philosophie que sur les mœurs du temps, une conduite des récits et anecdotes qui ménage habile­ment le suspens, j'émettrais une seule réserve : lorsque les commentaires des sources apparaissent (c'est rare) comme leur simple paraphrase.

Les vingt-cinq chapitres qui précèdent les conclusions s'articulent en trois parties : fondation, ascension et suppression de l'ordre, de 1118 ou 1119 à 1312. La coïncidence chronologique avec le contexte des croisades est frappante : 1095 entend l'appel tonitruant d'Urbain II à la 1ière croi­sade ; 1291 assiste, consterné, à la chute de Saint-Jean-d'Acre, dernière possession de l'Occident en Terre sainte. « Dieu le veut ! », s'est écrié Urbain : pa­roles terrifiantes auxquelles ont répondu maints échos qui ne le furent (ne le sont) pas moins. Une chevalerie inédite va s'enrô­ler dans cette guerre sainte : les Templiers. Des moines soldats, prétend-on. « Image rêvée », rétorque Arnaud de la Croix : ils fu­rent davantage soldats que moines. Certes, la règle de l'ordre fut celle de saint Benoît (après celle d'Augustin), et l'obéissance est imposée aux Templiers, mais seulement à leurs chefs hiérarchiques, donc militaires ; contrairement aux moines, ils mangent de la viande ; la pauvreté ? Ils se sont taillé à la pointe de l'épée des territoires considé­rables, consciencieusement pillés ; la modestie ? Au milieu du XIIe, ils cousent sur leurs manteaux blancs des croix de drap rouge pour se distinguer des autres combat­tants ; quant au vœu de chasteté (mais le mariage des prêtres n'est condamné qu'en 1123 !), il leur est recommandé de fuir le baiser des femmes, d'où les soupçons de so­domie émis lors de leur procès. 13 octobre 1307 : accusés d'orgueil, d'indé­pendance, d'hérésie, de reniement du Christ, de cupidité, d'homosexualité, les Templiers de France sont arrêtés. S'ouvre un procès truqué, « monté de toutes pièces par le roi de France avec la complicité de l'In­quisition. » On accuse sur la foi de rumeurs, on prête une oreille complaisante à des taupes infiltrées dans l'ordre, on torture. Jacques de Molay, dernier Grand Maître, signe des aveux qu'il rétracte aussitôt : le re­laps est brûlé sur une île de la Seine.

Coupables, les Templiers ? Le premier, Vol­taire « fait justice des plus graves accusa­tions, non sans incriminer la rapacité du pape, celle du roi de France et des autres qui se partagèrent les biens de l'ordre. » D'autres historiens emboîteront le pas, les uns hardi­ment pour conclure à la totale innocence de l'ordre, les autres en traînant les pieds pour émettre quelques réserves. Le mythe peut bien naître (une fin tragique couplée au halo du mystère), et les ésotérismes (en particu­lier maçonnique et rosicrucien) donner libre cours à leur imagination.

Pol Charles