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Critiques de livres


Frédéric SOJCHER
Main basse sur le film
Editions Séguier
2002
253 p.

Un nouveau d'Artagnan

Frédéric Sojcher est un phénomène. Sa volonté première n'était pas de théori­ser sur le cinéma, mais d'en faire. Or il est parfois difficile de faire exister ses rêves quand il faut en plus lutter contre la conjuration des hommes et des événements. La ténacité qu'il déploie force l'admiration : pendant que ses projets de mise en scène étaient retardés, il a soutenu et publié sa thèse sur le cinéma belge (éd. L'Harmat­tan) ; il a réussi à surmonter les épreuves survenues sur le tournage de son film et ra­conte son combat dans un livre très vivant et émouvant.

Main basse sur le film est le récit d'un jeune cinéaste qui réalise son premier long mé­trage sur une île grecque. Très vite, le conte de fée vire au cauchemar. Le réalisateur doit se battre contre la majorité de l'équipe qui veut s'approprier le film et le chasser du plateau.

On connaissait la Lettre à un jeune poète de Rilke, voici le livre à un jeune cinéaste par Sojcher fils. Ce récit subjectif, écrit comme un journal de tournage, n'est pas le règlement de comptes du metteur en scène bafoué par l'acteur principal et un producteur lâche. Comme l'écrit brillamment Bertrand Tavernier dans sa préface, « ce n'est pas le récit d'un tournage, c'est l'histoire d'un hold-up ». Ce livre passionnera tous ceux qui s'intéres­sent au cinéma, mais aussi les amateurs de complots et des turpitudes humaines. Atten­tion : si vous croyez à la grande famille du ci­néma et aux soirées orgiaques suscitées par un certain mythe du cinéma, vous serez déçu. C'est le récit d'un homme trahi, sorte de d'Artagnan seul contre tous, qui vit les pires humiliations sur une île finalement plus hostile que paradisiaque.

La force de ce récit, c'est que l'auteur recon­naît ses erreurs et ses faiblesses. En ne dé­voilant pas les noms des protagonistes, il tend à dépasser son malheur personnel. Mais on peut penser que la plupart se re­connaîtront et que les cinéphiles, enquê­teurs-historiens du cinéma, pourront aisé­ment trouver les clefs.

Ce livre est un contrepoint à La Nuit améri­caine de Truffaut. On lit, par le menu détail, la vie du tournage. On découvre, dès la pre­mière prise, qu'une partie de l'équipe met en doute les capacités du réalisateur et de son chef opérateur. La scripte cancane, l'assistant n'est pas à la hauteur, certains stagiaires se verraient bien occuper un meilleur poste. Lentement, l'acteur principal et la jeune star qui ressemble à Greta Garbo se désolidari­sent du réalisateur et les clans se sont formés dans son dos sans qu'il ait rien vu venir. Au moment de réagir, il espère que son produc­teur peut remettre l'église au milieu du vil­lage, mais il est trop couard et trop tard. Jusqu'au bout, l'auteur nous tient en haleine dans les péripéties de son thriller. Le plus épatant, c'est que Sojcher écrit là un très beau livre d'apprentissage plein d'hé­roïsme et qu'un producteur pourrait être tenté par une adaptation. La matière artis­tique serait alors sans cesse du recyclage, mais cette fois il saura quels écueils éviter !

Louis Heliot