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Critiques de livres


Régine VANDAMME
Ma voix basse
Bordeaux
Le Castor Astral
coll. Escales du Nord
2004
169 p.

J'aime le mot « bigarrure »

Oui, j'aime ce mot, que je reprends à la suite de Régine Vandamme qui l'aime aussi, et parce qu'il convient à la couleur de son deuxième roman, Ma voix basse. Le terme « bigarrure » est, dans son sens premier, positif. Il désigne la va­riété, la diversité et peut en vanter l'éclat. Toute au plaisir de l'écriture, l'auteure prend avec le texte la liberté de l'organisa­tion, la liberté de se dire. Se fier au déroule­ment de sa pensée, à son flux, disait Virgi­nia Woolf, est le seul fil conducteur qu'elle adopte et qui permette d'accoler le rire à la colère, la douceur à la violence, le tous-les-jours à l'exception ou le détail à l'ensemble. Mais liberté ne signifie pas désordre. S'im­pose à celle qui se livre « une distance sani­taire que seuls les mots agencés d'une cer­taine manière autorisent ». En amont de ce texte plus guidé qu'on pourrait le croire, il y a un plan, que résument dix-neuf ques­tions, apparemment banales, quotidiennes en tout cas : elles vont déclencher un afflux de réponses, entre mélancolie et exubé­rance. Jaillies du plus intime de la conscience de la narratrice comme de l'immédiateté la plus machinale, elles traduisent son vécu, son imaginaire, ses espoirs. Qui pose ces questions ? Personne n'est nommé et peu importe d'ailleurs, car les réponses s'adressent autant à tous qu'à une personne précise, parfois reconnaissable à l'interpellation ou à l'inflexion. Chaque phrase de ré­ponse, affirmative ou négative, fait mouche, diversement. Chacune réclame une lecture particulière, nous fait réfléchir, nous touche en quelque manière. Nous jouons avec elle, la soupesons, la goûtons. Se succèdent ainsi une série de signes d'étonnement ou de re­connaissance, de petits plaisirs à part soi, comme leur énoncé. On se dit, tiens, moi aussi. Ou, tiens, moi non. Toujours, quel­que chose résonne en nous à cette confi­dence. Au-delà de ses familiers — enfant, parent, mari ou compagnon —, de ses amis ou de plus lointaines personnes parfois entrevues ou rencontrées, qu'elle distingue par la forme polie ou non, par le phrasé réservé ou expansif, Régine Vandamme s'adresse peut-être à tous, mais surtout à elle-même. Son projet serait alors de faire le compte de — on songe irrésistiblement à Perec —, le compte de ce qu'elle est, de ce qu'elle aime, de ce qu'elle attend ou de ce qu'elle veut... (restent quinze catégories de curiosa qu'elle explore). Cela donne un catalogue touffu, mais ordonné bien qu'y déferlent à la vi­tesse de la pensée toutes sortes de considéra­tions qui se rapprochent du journal intime. Toutes correspondances entre les notations ou collisions inattendues entre les propos les plus différents sont soumises à un des­sein poétique : la reprise litanique d'un même modèle de phrase et puis de son contraire, tout à fait symétrique, fait sens à son tour, comme le ferait dans un poème toute autre récurrence phonique. Le résultat est double. Révélateur de l'in­time et de l'infime, de l'humeur, de la sensibilité et de la réflexion d'une femme qui s'exprime à voix basse mais librement, le livre se fait aussi chronique plurielle, de notre temps, du temps des femmes, de l'écriture elle-même.

Jeannine Paque