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Critiques de livres


Amélie NOTHOMB
Mercure
Albin Michel
1998
225 p.

D'amour et d'amitié

Nous avions remarqué dans Attentat paru à la rentrée dernière, qu'Amé­lie Nothomb avait mis de la dou­ceur dans sa verve d'écrivaine. Nous ne sa­vions pas alors s'il s'agirait d'une exception ou d'une voie ouverte à son œuvre. Nous pouvons dire aujourd'hui, grâce à Mercure, qu'effectivement quelque chose avait changé, quelque chose qui aboutit aujourd'hui à son roman le plus fort depuis Hygiène de l'assassin, ouvroir de son œuvre à venir, adve­nue.

Pourtant, dans la trame et les premières pages de Mercure, rien que du Nothomb dans la plus pure des traditions qu'elle s'est inventée : Orner Loncours, un vieil homme, capitaine lassé des océans, bien évidemment très très laid, retient prisonnière sur une île, dans une bâtisse sans miroir ni reflet aucun (même les verres sont dépolis), Hazel Englert, une jeune fille belle comme il n'en existe, disons, que dans les contes. Il y a bien entendu un secret et un amour déme­suré, éternel. Pas un de ces amours comme « la plupart des gens [pour qui] aimer est un détail de l'existence, au même titre que le sport, les vacances, le spectacle. [Pour qui] l'amour a intérêt à être pratique, à cadrer avec la vie que l'on s'est choisie. » Non un de ceux qui se prolonge au-delà de la mort, qui nourrit ceux qui lui succèdent au point de les rendre plus forts encore. Avant Hazel, le Capitaine aimait une de­moiselle à la beauté angélique, Adèle Langlais. Pour la conquérir, faire l'amour avec elle, l'empêcher de partir, il avait inventé un subterfuge diabolique. Jamais heureuse, la jouvencelle regardait la mer pendant des heures et finira par s'y ophéliser. Pendant quinze ans, le Capitaine connaîtra la douleur terrible du deuil, jusqu'au moment où il sauvera Hazel d'un bombardement. Pour elle, il construira la même prison mentale, pour les mêmes raisons. Le jour où elle tombe malade, il introduit, dans la forte­resse de mensonge, une infirmière. Qui comprendra tout. Qui tentera de rendre la liberté à la jeune fille le jour où le vieux, pour fêter leurs cent ans (77 ans pour lui, 23 pour elle) se réjouit de faire l'amour avec celle-ci. Elle y arrivera de deux manières. Car ce roman a deux chutes. Tout aussi vraies, tout aussi possibles avec les situa­tions et les personnages du roman. Tout aussi heureuses. Pourtant c'est le genre de procédé romanesque casse-gueule, que l'on pourrait même croire éculé. Pas pour Amé­lie Nothomb qui l'utilise en frondeuse et qui, par deux fois, donne une place de choix à l'amitié (à l'inverse d'un Proust qui la dévalorisait) et la porte à des sommets que l'amour n'atteint pas toujours. Hazel se souvient d'ailleurs qu'enfant, elle écrivait des lettres à sa meilleure amie que les amou­reux seraient incapables de rédiger. Nous en revenons presque au Sabotage amoureux : et de nous dire que le chemin dans lequel s'est engagé la romancière ressemble à celui d'une neuve maturité et d'une touchante proximité avec ces personnages. Comme si elle ne leur faisait plus la guerre. Enfin, plus tout le temps !

Michel Zumkir