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Critiques de livres


Françoise PIRART
Mes Grandvoyages à travers le vaste monde et les atmosphères qui l'entourent
Edit. Luce Wilquin
2000
300 p.

Perdre le nord

Voilà un livre au titre plein de pro­messe, dont on s'apprête à se délec­ter et puis on traîne à l'aborder, on tourne autour, se disant qu'on va le garder pour la bonne bouche. Vient enfin le mo­ment de s'y plonger, de faire le saut dans la grande aventure.
Avant tout, il faut savoir que les Grand-voyageurs sont « dénombrables sur les doigts d'une seule main : Cristobal Colon, Marco Polo, One' et Mam, Fernand de Magellan. L'autre main [...] servira à me compter moi ». Ce Grandvoyageur-narrateur a un « âge indéfinissable », il trouve « la vie amusante » et ne se déplace qu'avec son encyclopédie en 5 volumes. Il apprécie particulièrement le ploum-poudingue et, en bon Grandvoyageur, il ne sait d'où il vient ni ne connaît le sens du mot « vacances ». Ajoutons qu'il est flanqué d'une Accompa­gnatrice chargée de lui enseigner les littéra­tures classique et post-moderne. L'histoire commence au Pôle Nord, chez les Inouïs qui ont des maisons blanches, teinte fort salissante. Elle se poursuit, après un vol en Bouingue, à Vent-Couvert, où Mam lèche les vitrines pendant qu'Onc', chaussé de ses patins à roulettes, prospecte en fu­mant le cigare ou boit des whiskies. Et notre narrateur se languit d'amour pour Mylène, la femme de chambre. Après cette escale, embarquement sur un paquebot pour rencontrer d'abord les Irsutes, coupeurs de têtes, puis les Guartalopopèques. Au passage, on croise des nobles et des roturiers et l'étrange Gâlafron rejoint la troupe. Puis...
Puis je m'aperçois que j'ai déjà parcouru une bonne partie d'un livre qui m'amuse beaucoup moins que je ne l'imaginais. Ce n'est pas le texte qui me porte, c'est l'état d'esprit qui précédait ma lecture. Pire même, l'auteur a réussi à me faire avaler en douce quelques couleuvres et ce qui aurait pu passer pour loufoque, malgré un peu de condescendance (tribu aux vêtements bario­lés pour servir de repères aux navigateurs, paquebot propulsé par des galériens), va, au fil des pages, s'avérer cruauté purement gra­tuite et mépris total. Ainsi, notre Grand-voyageur s'amuse à jeter à la mer une petite fille (à qui il ne sert à rien de lancer une bouée ; elle est aveugle !), une Accompagna­trice périra noyée de la même manière (sans avoir eu droit à la bouée) et un autre encore sera abandonné, ligoté et bâillonné, au fond d'une grotte. Du respect pour les peuples visités ? Non. Chez l'un, il danse sur un cercueil ; à l'autre, il vole des poteries ; au milieu du carnaval du troisième, il gesticule tellement qu'il assomme ses proches. Puisqu'il est le héros, tout le monde a le bon goût de ne pas riposter. Ne parlons pas de la virulence avec laquelle il apostrophe son lecteur, de son absence de sentiment religieux et de la longueur des pages où il imagine comment liquider son Accompa­gnatrice (puisqu'une' lui en trouve tou­jours une nouvelle).
A ce stade, il n'est plus question de second degré. Et lorsque le narrateur se proclame « le nombril du monde », impossible d'y lire de l'orgueil, c'est, tout au plus, un im­bécile égocentrisme, un confit de fatuité. Enfin, on le sait, les Grandvoyages sont gé­néralement truffés de multiples péripéties et rebondissements, extensibles à souhait, dif­ficiles à interrompre, qui mènent le lecteur à un épuisement agacé. Je ne sais quel était le projet de Françoise Pirart en écrivant ce livre. Je le comprends d'autant moins qu'un chapitre, aussi bizarre que déstabilisant, inséré peu avant la fin, voudrait en donner une explication mais ne la rend que plus confuse. Voyageant à tra­vers le vaste monde, fût-ce sur le mode bur­lesque et loufoque, je comprends mal que, à notre époque de ravages interethniques, on ne s'impose pas le respect de l'autre et l'attention à ses particularités. S'il y avait de la cruauté dans les contes traditionnels, c'était pour poser un obstacle dont on allait triom­pher ; s'il y a de l'irrévérence dans les farces, c'est pour mieux ôter les masques ou exalter la justice. Rien de tout cela ici, mais la seule gratuité de l'acte, méchant, méprisable. Sans garde-fou, sans morale, sans contre­poids.
Peut-être que quelque chose m'échappe mais certainement, autre chose m'effraie. Je ne sais à qui je pourrais recommander ce livre.

Jack Keguenne