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Critiques de livres

Une œuvre à redécouvrir

On connaît le dynamisme de la li­brairie Tropismes. Voici qu'elle ajoute un nouveau fleuron à sa couronne en se lançant dans l'édition ; et cela, avec une masse imposante, qui ne risque pas de passer inaperçue : les Œuvres complètes de Henri Vandeputte, en douze volumes. On savait que le poète existait ; on ignorait  généralement  ses  innombrables autres facettes.

Approcher Utrillo, Modigliani, Apollinaire, Marie Laurencin, Picasso... Défendre Zola au moment de son célèbre procès de février 1898. Etre cité comme témoin à décharge au procès de Henri Guilbeaux accusé d'anarchisme... Correspondre avec Gide, Max Jacob, Claudel, Francis Jammes, Henri Ghéon, Maeterlinck, Mallarmé... Rencon­trer Mistinguett, Chaliapine... Etre peint par Spilliaert, Labisse... Devenir l'ami d'Ensor, de Ghelderode, de Crommelynck, de Paul Neuhuys, de Max Elskamp... Fon­der et diriger quatre revues auxquelles colla­boreront Camille Lemonnier, Verhaeren, Gide... Collaborer soi-même à plus d'une centaine de revues et de journaux. Sur le plan matériel, devenir l'un des prin­cipaux actionnaires des Palaces d'Ostende ; accumuler de fabuleuses collections... Etre riche, puis être pauvre parce qu'on a tout perdu, tantôt joueur, tantôt victime de la crise...

Sur le plan professionnel, se faire commer­çant, éditeur, professeur, agent de publicité, secrétaire de casino, journaliste, directeur de galerie d'art, libraire, bouquiniste... Mais avant tout, écrire, accumuler une œuvre considérable ; tantôt poète, tantôt romancier, tantôt critique, tantôt chroniqueur. Ne pas hésiter à servir de nègre à Willy, à écrire, sous des pseudonymes, des romans populaires... Dédicacer ses livres à Cézanne, à Anatole France...

Voilà, trop rapidement brossé, le portrait de Henri Vandeputte, né à Bruxelles en 1877, mort à Ostende en 1952, un écrivain belge d'expression française, méconnu, oublié. Cette personnalité hors du commun, cet écrivain qui s'est toujours tenu à l'écart des écoles littéraires, les traversant sans adhérer à aucune, il fallait le ressusciter. Soigneusement annotée, la monumentale édition de ses Œuvres complètes compte, en ses douze volumes, près de 6 000 pages de textes de Henri Vandeputte, auxquelles viennent s'ajouter plus de 1 000 pages de notes, de variantes, de textes divers, une bi­bliographie imposante et quelque 250 pages de différents index : des noms de personnes et de personnages, des noms de lieux, des titres d’œuvres,... en tout, pas moins de neuf index, tous nécessaires pour permettre d'agréables promenades dans une forêt de textes.

Victor Martin-Schmets, le maître d'œuvre, avait, il y a quelques années, donné une édi­tion des Œuvres complètes d'André Ruyters, cet autre Belge méconnu qui figure cepen­dant parmi les fondateurs de La Nouvelle revue française ; était venue s'ajouter à cet ensemble une édition de la correspondance Gide-Ruyters, le tout publié par l'Univer­sité de Lyon II. Il est heureux que pour Henri Vandeputte, il se soit trouvé en Bel­gique un éditeur suffisamment courageux. On pourrait croire qu'à cause de ses dimen­sions cette édition des Œuvres complètes de Henri Vandeputte n'est pas destinée au grand public. Qu'on se détrompe : sa consultation, sinon sa lecture intégrale, réserve — nous en avons fait l'expérience — d'innombrables et heureuses surprises ; ce n'est jamais une perte de temps, c'est tou­jours un enrichissement. Ce sera, enfin, un outil précieux pour les étudiants qui voudront se pencher sur cet écrivain et en faire leur sujet de mémoire ou de thèse. Cette édition marque le point de départ des études consacrées à Henri Van­deputte.

Y. D.

Henri VANDEPUTTE, Œuvres complètes, 12 vol., Bruxelles, Librairie Tropisme.