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Critiques de livres


Virginie DEVILLERS
Paul Delvaux. Le théâtre des figures.
Bruxelles
Editions de l'Université de Bruxelles
1993
collection « Le sens de l'image»
141 p.

Le sens illustré

La revue de l'Université de Bruxelles, sous l'égide de Jacques Sojcher, lance une nouvelle collection intitulée « Le sens de l'image». Des deux premiers titres parus, l'un fait une lecture des tableaux de Paul Delvaux, l'autre l'application du langage cinématographique (le gros plan, le travel­ling, le montage alterné, etc.) à la bande dessinée : deux ouvrages d'initiation écrits par de jeunes auteurs, respectivement Virginie Devillers et Manuel Kolp, qui ont pour eux la force de la simplicité et de la clarté. Le plus gros atout de cette collection réside cependant dans son abondante illustration. Ainsi de l'étude consacrée à Delvaux qui, grâce à des annototations marginales ren­voyant, en fin de volume, à une cinquantaine de reproductions, est à la fois soutenue et ga­rantie par l'observation directe des œuvres. En installant un va-et-vient entre le texte et les tableaux, ce qu'accomplit l'auteur, re­marque Jacques Sojcher dans la postface, c'est « une véritable phénoménologie des gestes et des poses, de ces corps qui dépassent le sujet et deviennent « le signe de la figure». » Virgi­nie Devillers reste de ce fait en-deçà du sym­bolisme, dont le peintre rejette les clefs d'in­terprétation, pour étaler l'œuvre ouverte, polyphonique, dialogante. Dans l'autre ouvrage, pareillement, les illus­trations sont très éclairantes, et aèrent avanta­geusement une étude qui s'est voulue, à bon droit, systématique. Les deux « corpus », comme on dit à l'université, ont été judicieu­sement choisis. Pour le cinéma, Manuel Kolp s'en est remis principalement aux manuels de base et aux anthologies, de sorte que ses exemples sont puisés à partir de films qui ont fait date dans l'histoire du cinéma, plutôt que dans Rambo ou dans Le Maître de musique.

Tout dans ce parti est bénéfice : pour les films dont les mérites d'innovation sont ainsi reconnus, pour le lecteur se remémorant sans peine les passages évoqués. En ce qui concerne la bande dessinée, il suffit des des­sins de quatre auteurs pour montrer la variété et la qualité des emprunts aux techniques ci­nématographiques : Hergé, le classique par excellence, les modernes Hugo Pratt (Corto Maltese) et Derib (Buddy Longway), ainsi que l'Américain Alan Moore (Lesgardiens). Saviez-vous au demeurant que les noces entre le septième et le neuvième art ont été célé­brées dans leurs berceaux ? L'un des premiers films des frères Lumière, L'Arroseur arrosé (1895), s'inspire en effet d'une planche dessi­née de 1887, L'Arroseur, qui raconte le même gag. Et, en retour, les premières ébauches d'Hergé, celles des aventures de Totor(\926), s'affichaient comme un « extrasuperfilm ». C'est dire combien cette étude ne pouvait manquer de pertinence. L'auteur n'en réussit pas moins à faire découvrir également, tout au long de la comparaison, les spécificités ar­tistiques respectives du cinéma et de la B.D. Le respect des œuvres, que témoignent dans leurs textes nos deux auteurs, n'embrigade pas le sens des images dans une théorie ou dans une interprétation qui prétendraient les supplanter, mais au contraire y renvoie avec plus d'attention, plus de compréhension, et certainement plus de plaisir. C'est qu'il arrive encore que le mot « culture » ait ce sens actif qui nous la fait aimer...

Sémir BADIR

Manuel KOLP, Le lan­gage cinématographique en bande dessinée. Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, 1993, collection « Le sens de l'image», 178 p.