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Critiques de livres

Grégoire Polet
Excusez les fautes du copiste
Paris
Gallimard
2006
149 pages

Vrai ou faux?
par Thierry Detienne
Le Carnet et les Instants n° 143

Grégoire Polet est entré en littérature au début de 2005 avec Madrid ne dort pas, un roman vif et original. Il y donnait un portrait nocturne et envolé de la ville et de quelques de ses habitants à travers les fenêtres entrouvertes et les rideaux flottants. Le deuxième livre d'un auteur prometteur est toujours attendu avec curiosité, parfois avec malice. Les lecteurs qui espèrent retrouver l'ambiance madrilène seront déçus, ceux qui misaient sur la capacité de renouvellement de Grégoire Polet auront eu bien raison.

Avec Excusez les fautes du copiste, nous recevons les aveux d'un homme, un artiste, qui écrit au juge face auquel il va comparaître. En prologue, il prend le soin de préciser : «Parfois je me dis qu'il est téméraire de distinguer le parfaitement raté du parfaitement réussi. Il y a quelque chose de parfait dans les deux, une même force obscure qui les pousse et les fait fatalement sortir de l'ordinaire, et les deux destins, peut-être se confondent.» Le ton est donné. Le regard que cet artiste pose sur sa vie est sans complaisance. S'estimant médiocre créateur, il a excellé dans la discipline de la copie avec une jubilation sans limite. Il y est venu par étapes successives. D'abord comme illustrateur de livres, puis comme restaurateur d'œuvres anciennes, toujours par l'entremise de personnes qui lui veulent du bien et qui trouvent normal de rémunérer leurs services. Vient le moment décisif où il est proposé à l'artiste de se frotter à de grandes œuvres. Le résultat dépasse les espérances et les demandes nouvelles suivent. Il lui est suggéré de produire des œuvres inédites d'artistes de second rang à introduire incognito sur le marché. Il découvre la jouissance délicieuse qu'éprouvent les auteurs de supercheries. Vient un moment où, poussant la logique dans ses dernières limites, il ressent le désir terrible d'être le seul à en avoir la clé. Il est arrivé à un tel point de détachement que peu lui importent les honneurs et l'argent dont se repaissent ceux qui recourent à ses services. Simultanément, il constate sa distance avec sa fille unique avec laquelle il a rompu toute communication. Seul compte désormais le jeu qu'il s'autorise dans l'espace ténu qui sépare le vrai du faux, l'original de la copie. Jusqu'au jour où sa supercherie est mise à jour et où il est désigné comme seul inculpé. Il ne nie rien. Au contraire, il assume son rôle jusqu'au bout : celui d'un homme qui a parfaitement raté. Et qui s'obstine à dire que «rien n'est plus éloigné de la vérité toute pure que l'idée du vrai et l'idée du faux». Cette confession – mais est-ce le mot approprié tant le bien et le mal y sont étrangers? – se déroule en suivant le cours bien huilé d'une glissade qui pourrait être sans fin et sans intérêt si elle ne comportait en filigrane cette réflexion subtile sur l'original et sa copie. Et, partant, sur la sacralisation de l'œuvre et de son créateur, qu'il soit peintre ou écrivain.