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Critiques de livres

Pierre Ryckmans
Les propos sur la peinture du Moine Citrouille-Amère (traduction et commentaire de Shitao)
Paris
Plon
2007
250 p.

Au moyen de l'encre
par Jack Keguenne
Le Carnet et les Instants n° 147

Dans ses Propos sur la peinture, le moine Citrouille-Amère – alias Shitao – expose la «Règle de l'Unique Trait de Pinceau» et la manière de l'utiliser pour «défricher le chaos» et que, de la peinture, «s'affirme et surgisse la vie». En effet, «l'œuvre véritable se fonde sur sa propre substance» et il s'agit d'appliquer une discipline pour réussir «par l'Un [à] maîtriser la multiplicité; à partir de la multiplicité, maîtriser l'Un». Aussi faut-il savoir reconnaître que «la voie est celle de l'Unité qui embrasse l'Universel», pénétrer l'esprit de la règle pour éviter l'obstacle, emprunter à l'Antiquité «pour fonder le présent», exercer sa réceptivité et assouplir son poignet, connaître les six procédés, utiliser la «méthode des rides», observer mers et montagnes, arbres et forêts, changements des saisons, etc.

En une quinzaine de courts chapitres, Citrouille-Amère donne, certes, un manuel de peinture enrichi de sa longue expérience de praticien, mais aussi, et surtout, un livre qui procède d'abord de la philosophie. Il y détaille, bien sûr, tout ce qu'il faut savoir pour peindre, mais il ne donne à proprement parler aucune recette, pas plus qu'il ne cite de noms; il y exprime plutôt tout ce qu'il faut maîtriser pour être – peintre, accessoirement. Si «la substance du paysage [peint] se réalise en atteignant le principe de l'Univers», «il faut d'abord connaître l'immédiat pour pouvoir atteindre les lointains» : la leçon de peinture est précédée d'une leçon de vie, laquelle commence par un premier pas. Il y a une discipline car si «le Ciel donne à l'homme dans la mesure où l'homme est capable de recevoir», l'homme détient la responsabilité de porter ce don à son accomplissement. S'il y réussit, il atteindra une souveraineté de créateur et pourra «participer aux métamorphoses de l'Univers», ce qui signifie qu'il aura qualité pour former une trinité avec le Ciel et la Terre. La peinture se fait donc quasiment prétexte («l'essentiel de la peinture réside dans la pensée») à un chemin de perfection au bout duquel Citrouille-Amère peut déclarer : «j'existe par moi-même et pour moi-même». En laissant entendre combien on risque de s'égarer à ne pas le prendre en exemple…

Pierre Ryckmans souligne combien ces Propos, publié discrètement au début du XVIIIe siècle, présentent un «système synthétique» qui le distingue de tous les traités picturaux chinois publiés durant le millénaire antérieur. Si, par tradition, ceux-là touchaient tous à la pensée philosophique, celui-ci se signale par sa simplicité. Encore faut-il pouvoir y démêler les courants de pensée taoïste, confucéenne et bouddhiste et décrypter les «conditions spirituelles et morales de l'acte de peindre» en Chine. À cela, Pierre Ryckmans consacre un gigantesque appareil critique de notes, commentaires, bibliographies et index qui explicite clairement cette pensée essentielle et situe, en le serrant au plus près, son contexte. Traducteur scrupuleux et historien avisé, Ryckmans offre au lecteur occidental une fascinante approche de l'esthétique chinoise.