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Critiques de livres

Le fond de l'art est percé

Depuis au moins le structuralisme, la réflexion théorique sur l'art a déplacé une bonne part de ses points d'intérêt sur le jugement esthétique lui-même. A la question « Qu'est-ce que l'art ? » s'est substituée, encore que d'une façon larvée, la question «  Qu'est-ce qu'on entend par « art » ? » Les réponses ont alors fusé de toutes parts, comme si ce dépla­cement purement épistémologique modifiait le fond du problème ; sociologues, histo­riens et critiques d'art, anthropologues terriens et martiens (selon de Duve) ont entamé en chœur — avec quelques disso­nances tout de même — la définition nouvelle, faisant fi du Beau, du Pur et de l'Idéal : est art. simplement, ce que je/nous/vous/ils appelle art. Tous étaient satisfaits d'avoir transformé la question en réponse, par le biais d'une ontologie nominaliste. La représentation conceptuelle de l'art se redouble ainsi d'une représentation nominative qui prétend la confirmer. Dans Sens et contresens de l'art, conformé­ment à l'annonce du titre, Philippe Minguet a posé cette même question dans une plu­ralité d'aspects : de l'art et de ses rapports avec la signification, avec la création ; des arts et de leurs interrelations. clans le do­maine de la poésie et de la peinture, de la littérature et de l'urbanisme, de la musique et du langage.

Mais à cette question travaillée, multipliée, pas de réponse. Pas même de souci de ré­pondre. C'est à cette indifférence de s'insti­tuer en dogme que se reconnaît l'accent philosophique de l'esthétique de Minguet. Loin des préoccupations structurales qui tra­versent ses travaux avec le Groupe |1 l'au­teur s'attelle ici à une question essentiellement irréductible. Il lui suffit de creuser les méandres conceptuels de la notion d'art, de déplier les discours établissant son histoire. Gianni Vattimo, dont la préface n'est pas le moindre titre de gloire de ce recueil, en a bien fixé l'enjeu : « Que signifie, clans les écrits de Minguet. lire philosophiquement l'expérience des arts ? »

A cet égard, l'une des attraits de cet ou­vrage est de nous livrer la pensée esthé­tique dans son étalement historique. Les ar­ticles qui le composent s'échelonnent en effet sur les trente dernières années. Dans leur juxtaposition ordonnée, ils nous révè­lent l'itinéraire d'une réflexion toujours co­hérente, sollicitée dans le débat de pro­blèmes dont les arguments, quant à eux, ont changé au cours de l'histoire. Encore cette cohérence ne trahit-elle pas l'occur­rence des œuvres, mais s'efforce au contraire de retrouver, à partir d'elles, les li­mites de possibilité de leur affirmation. Il fallait alors « prendre au sérieux les expé­riences extrêmes de contestation de l'art  « défini » par la tradition. » Dans ses évoca­tions de la poésie concrète de Finlay, de la musique stochastique de Xénakis, du dripping de Pollock, Minguet remonte le sens de l'art jusqu'au point initial de son fonde­ment. C'est passionnant.

Sémir BADIR

Philippe MINGUET, Sens et contresens de l'art. De Boeck. collection « Le point philosophique ». 1992