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Critiques de livres


Robert MONTAL
Une mesure pour rien
Lausanne et Dour
Luce Wilquin
1994
176 p.

L'apathie, à quelques exceptions près

On le croit. On en est sûr même : le romancier, s'il va aussi loin dans les tréfonds de son écriture que dans ceux de son âme, découvre des choses bien plus vraies que toutes les choses vraies. Il peut réécrire l'histoire et approcher de son sens. Même s'il ne résout pas toutes les énigmes et que les événements ne s'avèrent pas tous exacts. Robert Montai, dont Une mesure pour rien est le quatrième roman, penserait ainsi, aussi, s'il ne mettait en doute la volonté de l'homme d'écrire (d'être) vraiment. Depuis l'en-dedans. Antoine Sorgue, un écrivain belge d'impor­tance mineure, part à Pontaval, petite ville de la province française, sur les traces de son cousin Jean-Paul, mort à l'âge de seize ans, durant l'exode de 1940. Cette investi­gation, il l'entame à la demande du père du jeune homme, écrivain ayant sacrifié sa fa­mille pour des livres sans succès véritable. Le commanditaire décédera avant de connaître le fin mot de l'histoire, de toute façon l'amour paternel n'avait jamais été donné. A ce moment, Antoine Sorgue au­rait pu s'interrompre mais il a déjà com­mencé un roman sur son cousin avec la guerre en toile de fond : « J'essaie de com­prendre ce qu'a pu être le comportement, les pensées, les actions d'un gamin de seize ans, surprotégé par sa mère, ignoré par son père, et plongé brusquement dans une liberté qui l'étouffé. Pris au piège de la guerre et de la pagaille de l'exode. Terrible­ment seul, de surcroît. »

Ce livre, on ne le lira pas, on a juste les notes qui devraient lui servir de point de départ (du moins, on le suppose).Ecrites à la deuxième personne du singulier, texte dans le texte, elles sont éparpillées dans Une mesure pour rien. Qui est aussi l'enquête qu'Antoine Sorgue mène et qui se teinte de provincialisme médiocre, de lâcheté humaine. De solitude et de pe­tites vies de rien du tout où mesquineries et habitudes minables se côtoient. Où aucun adulte n'est fier de ses jours et où un fossé énorme s'est creusé entre soi et soi, entre soi et les autres, entre soi et le monde. On vit avec quelqu'un non par amour mais juste pour ne pas être seul dans son lit. Antoine Sorgue agit de même avec les débuts de son roman, avec la même apathie, sans vraiment être poussé par la force et la nécessité de la littérature. Il ne faudrait pourtant pas croire qu’Une mesure pour rien est un plaidoyer pour l'adolescence contre la vie adulte, toutes deux réservant — à quelques excep­tions près — le même lot de souffrances et de petitesses. En faveur de la jeunesse, ce­pendant, ces instants de première fois qui marquent à tout jamais, lorsque l'érotisme se mêle à l'émotion, lorsque les filles pren­nent l'initiative et que les garçons s'aban­donnent un peu trop vite. Plus tard, tous s'en souviendront et les hommes, à leur tour, séduiront (?) les femmes. Elles céde­ront au désir tout en se barricadant derrière les murs de leur vie. L'amour dans tout ça ? Minable dans l'aujourd'hui, toujours plus fort — même si brisé — dans l'hier...

Michel Zumkir