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Critiques de livres


Daniel CHARNEUX
Une semaine de vacance
Editions Luc Pire
coll. Embarcadère
Bruxelles
2001
155 p.

Vertige du vide

Une semaine de vacance de Daniel Charneux commence comme un roman minimaliste : l'absence de « s » au mot « vacance » est justifiée par le fait que le narrateur, Jean-Pierre Jouve, veut s'ennuyer pendant ses congés : il aspire au vide. Il décide alors de s'offrir une semaine de randonnée dans un département choisi en jouant aux fléchettes sur une carte de France : la Creuse, dont le nom tombe à pic. Il prévoit son itinéraire à l'avance de manière à éviter tous les sites touristiques, puis il se met en route. Comme dans un roman minimaliste, nom­bre de petits faits sans conséquence sont racontés pour eux-mêmes (alors que dans un roman traditionnel, les détails servent à l'intrigue générale ou ont fonction de pro­duire l'effet de réel théorisé par Roland Barthes). Ainsi, on croise un tavernier inca­pable d'expliquer l'étrange nom de son vil­lage, on apprend quelle est la façon la plus radicale de soigner une ampoule au pied ou par quel moyen emporter dans un sac à dos la série complète des Tintin. Toujours comme dans un roman minimaliste, Daniel Charneux use d'une langue élégante qui ne recule pas devant les jeux de mots : Odile devient idole et les calculs mathématiques appellent les calculs à la vésicule. Mais, tout en marchant, le narrateur pense à son passé et particulièrement à Odile, qui l'a quitté depuis plusieurs années et dont l'ab­sence le fait souffrir. Le texte s'éloigne alors du minimalisme pour laisser place à des ré­flexions d'ordre général à propos de l'époque, des horreurs du XXe siècle, de la paternité, de la religion, de l'amour, de la Vie. En outre, à de nombreuses reprises, le rêve envahit la réalité : le promeneur imagine la paisible région qu'il traverse à l'époque où y régnait l'activité volcanique. Il pense à la vie dans un village ancien à pré­sent recouvert par les eaux. Il s'invente d'autres histoires que la sienne : « [...] j'au­rais pu être marin à bord d'une caravelle, ou flibustier sur un trois-mâts, parcourir le monde en quatre-vingt jours, être gouver­neur de tripot, archonte, hérésiarque. [...] Je pourrais lire tous les romans, regarder tous les films, vivre par procuration. » Ou il songe avec regret au père de famille idéal qu'il aurait pu devenir si Odile ne l'avait pas quitté. Enfin, de nombreuses références cul­turelles traversent son esprit. Relatives en général à l'Antiquité, elles semblent gra­tuites dans l'économie du récit : on s'aperce­vra que l'une d'elle ne l'est absolument pas. Car la fin du roman ménage une surprise de taille au lecteur. Daniel Charneux, dans les dernières pages, s'écarte tout à fait du mini­malisme initial et verse dans un autre genre que nous ne pourrions qualifier sans pren­dre le risque d'éventer la mèche. La rupture est brutale, mais justifiée a posteriori par certains éléments soigneusement glissés dans le récit au milieu de notations ano­dines. Pour son premier roman, Daniel Charneux a réussi un bel exercice d'équilibriste sans céder, comme son personnage, au vertige du vide.

Laurent Demoulin