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Critiques de livres


Annie SPINDLER
Wilma
Bruxelles
Editions Que
2004
81 p.

Une page d'amour

Avec Wilma, Annie Spindler au­rait écrit une page d'amour, mais les termes sont impropres, elle n'écrit pas, elle crache, vomit, crayonne, rature, griffonne, expulse d'elle les mots ; et ce n'est pas de l'amour mais une pas­sion brûlante, dévorante, agaçante, in­supportable. Wilma n'aime pas Sidi King, enfin, elle ne l'aime pas de ce qui communément s'appelle de l'amour ; mais elle a besoin de lui, un besoin irré­pressible qui la conduit au bord de la folie et qui la fait délirer : « Je dégueule de manque. Tu m'entends, je dégueule de manque. Ma vie est réduite à cela, ce manque total, cette inconsistance. Comme une vulgaire camée, comme une sublime camée. Celle qui va au shoot en sachant que c'est la seule vérité de son existence, celle de se perdre. Qu'une existence, cela ne peut être que cela, la volonté de se perdre, tout à fait, dans une ultime plénitude. » Wilma s'égosille, hurle sur tous les toits, sur tous les tons. Elle file sa passion — comme on file une métaphore —, la dé­roule, l'amplifie. Sa vie est vide sans elle et ne s'emplira que d'elle ; le reste ne compte pas — ou presque : il est certes fait allusion à la mort du père et aux rela­tions avec la mère, mais il y a toujours, n'est-ce pas, des parents qui meurent et avec lesquels on ne s'entendait pas. L'at­traction qu'exercé Sidi King est « sexuel(le) », affirme-t-elle, mais « c'est bien plus que cela, bien plus que cela, à peine je me rapproche et cela me nous reprend. Ce diabolique tournant ». Wilma s'attache à creuser cet indicible qui la ronge et qui enlève à toute chose son sens. Elle perd pied, tente en vain de mettre des majuscules à des concepts qui se dérobent (l'Amour, la Beauté, les Dieux, la Loi, l'Enfer, le Paradis} et qui apparaissent bien trop éculés pour qu'on puisse encore s'y fier. Si le parcours de Wilma s'apparente à une descente aux enfers, le moment que le lecteur passe en sa compagnie n'est pas forcément non plus une partie de plaisir. Le style d'Annie Spindler ne cherche pas à plaire et, de ce point de vue, c'est une réussite : il ne séduit pas. L'auteure y mêle, au petit bonheur di­rait-on, syntaxe déconstruite, traits d'oralité, interpellations de l'amant de Wilma, expressions familières et nota­tions psychologisantes plus abstraites (« on ne crache pas sur le symbolique »). Evidemment, l'objectif était de traduire la souffrance et le bouillonnement inté­rieur du personnage, mais certaines références (à la religion, à Duras) tiennent plutôt du cliché. En outre, s'il faut un peu de patience pour suivre Annie Spindler jusqu'au bout, il faut beau­coup d'indulgence pour accepter son orthographe : l'écrivaine paraît ignorer l'usage des traits d'union et s'embrouille dans l'emploi des pronoms.

Laurent Robert