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Critiques de livres


Guy GOFFETTE
Partance et autres lieux
suivi de Nema problema
Récits
Gallimard
2000
189 p.

Voyages immobiles

Ca fait belle lurette que j'attendais de lire une ode, et je me serais contenté d'une odelette, à la gloire de la cara­vane. La voici qui ouvre le dernier livre de Guy Goffette, et de façon d'autant plus épatante que la caravane de l'auteur res­semble comme une sœur (j'ai lu attentive­ment la description qu'il en donne) à la mienne ; l'odeur qu'on y renifle tendre­ment, fût-elle en repos, invite à la par­tance ; on peut partir sans un tour de roue. On peut partir muni d'un mince bagage. Nécessité de s'alléger. Une mémoire faible­ment oublieuse pourvoira au nécessaire, et la nostalgie.
Goffette ne guérira jamais — le souhaite-t-il ? — de son Ardenne. Même si, penché à sa fe­nêtre, il attend indéfiniment la mer. Elle finira bien par le prendre dans ses vagues, surgie de derrière les peupliers. Familièrement complice comme l'écrivain qui, au détour d'une phrase, prend son lecteur par le coude : « vous savez... » Goffette au doux pays de sa mémoire. La Semois comme « une chair de femme qui on­dule en marchant. » Le tabac que cultivait sur sa rive le grand-père caresseur de pipe en écume ne fait pas, lui, tousser les anges, ce n'est pas comme les « herbes blondes ou rousses qui sentent la pin-up et le chameau. » Les 896 (Goffette écrit quatre-vingt-seize) mètres que le maître d'école Goffette devait naguère parcourir, quatre fois par jour, pour aller et revenir de sa maison à la salle de classe, étaient une bonne occasion pour deviser avec le jars qui danse le blues.


Guy GOFFETTE
Tacatam blues
Saussines
Cadex éditions
2000
32 p.

Nostalgie d'un « Belge par raccroc », peut-être pas tout à fait content de l'être, qui signale que « tous les manuels du royaume se sont bien gardés de rappeler cette Commune de Virton, si impro­visée et si peu sanglante, il est vrai, et l'affront jamais lavé au premier roi » cette Commune contemporaine de la parisienne — 1848. L'Ardennais peut bien avoir, de temps en temps, la bougeotte et nous envoyer des cartes postales de Roumanie ou de Macé­doine, il n'empêche que ces lieux exotiques ne le sont guère : silos, vaches, potagers, arbres fruitiers de basse tige, arpents de foin, colza, coquelicots. La touche exotique, c'est le poète Goffette sur lequel là-bas on se re­tourne quand il a coiffé son borsalino au milieu des toques et des bonnets de fourrure à la russe. Il n'empêche : il est un peu chez lui : « en roumain, âme se dit suflet (pronon­cez soufflette) » ; ça rime avec Goffette.
Paraît, en même temps que Partance, dans une élégante plaquette sur vergé, Tacatam blues, un texte bref et fragmenté, initialement publié, mais ici légèrement retouché, dans la NRF, en 1992 ; il est aujourd'hui illustré de dessins faussement naïfs d'Olivier Grojnowski. Ces pages sont d'une écriture obsé­dante, répétitive quoique de phrase en phrase légèrement modifiée, pour décrire le face-à-face d'un voyageur et d'une jeune voyageuse (trop ?) sage ; l'écartement et le resserrement des voies de chemin de fer redoublent ceux des jambes des passagers : « Elle aime voyager les jambes serrées [...], aime qu'il en soit ainsi entre les jambes grandes ouvertes d'un homme qui fait mine de dormir. « Tout n'est-il que feinte, apparence ? La voyageuse sait que « rien ne peut arriver qu'elle n'attende. »

Pol Charles