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Critiques de livres

Christopher GÉRARD
Porte Louise
Lausanne
L’Âge d’Homme
La petite Belgique
2010
159 p.
18 €

Retour à Bruxelles
par Joseph Duhamel
Le Carnet et les Instants N°162

Porte Louise reprend l’idée – que Christopher Gérard avait déjà utilisée avec bonheur dans Aux armes de Bruxelles – de faire percevoir la réalité vécue d’une ville. Ici, il y apporte une dimension temporelle, par le biais du roman d’un retour, celui de Louise. Son père Charlie est irlandais, sa mère belge. C’est le bonheur d’une vie avec un père aimant, mais souvent insaisissable. Et puis, quand Louise a douze ans, tout s’arrête brusquement. Ce 1er novembre 1972, son père est assassiné ; elle-même et sa mère sont évacuées en Irlande. Des années ternes et parfois pénibles suivent, jusqu’à ce que, tardivement, elle rencontre Liam avec qui elle vit heureuse. Mais la volonté de connaître les raisons du meurtre de son père la taraude. Trente-huit ans plus tard, la cinquantaine sonnée, Louise revient à Bruxelles pour savoir et retrouve sa ville natale pour s’y livrer à une patiente enquête. Elle redécouvre les traces de sa jeunesse dans les changements qui ont profondément affecté la ville. Mais surtout, lentement elle parvient à recomposer le portrait de cet homme séduisant et mystérieux qu’était Charlie. Avec l’aide d’anciens camarades de classe, de fonctionnaires européens, d’Ingrid, secrétaire de son père qui se refuse à révéler l’essentiel mais complète l’image de l’homme, Louise découvre une dimension complètement inconnue de son père : mêlé aux turbulences pour l’indépendance de l’Irlande, il s’est retrouvé impliqué dans des réseaux occultes entre espionnage et trafic d’armes. Le roman propose un mouvement ascendant, Louise complétant petit à petit le portrait de son père et les raisons possibles de sa mort. Puis il revient en quelque sorte sur ses pas ; tous ces éléments ne vont pas ensemble, les renseignements obtenus dessinent des images trop contradictoires. Et les informations reçues, même les plus élaborées, éludent toujours les questions de « qui » et de « pourquoi ». Selon la loi du genre, la dernière pièce du puzzle permet, de façon inattendue, de tout reconsidérer.
Roman d’une quête, quête de soi et d’une vérité qui se dérobe, roman de la mémoire aussi. Le texte prend parfois un ton grave, ce sentiment du temps perdu, le « sentiment de n’être qu’une vieille ganache et d’avoir tout raté ». Mais c’est, aussi, un roman du plaisir de vivre dans l’évocation de cette ville pleine de trésors, avec entre autres ce personnage haut en couleur qu’est Monsieur Émile et son langage qui fait reconsidérer les évidences d’un français trop policé.