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Critiques de livres

Kristien HEMMERECHTS et Jean-Luc OUTERS
Lettres du plat pays
Paris
Éditions de la Différence
2010
220 p.
18 €

Concitoyens par la littérature
par Bertrand Pérignon
Le Carnet et les Instants N°162

Les principaux enseignements obtenus d’une lecture se révèlent parfois dans ce que l’on n’y a pas trouvé. Sur une proposition de l’association Culture et Démocratie/Kunst en Democratie, Kristien Hemmerechts, néerlandophone, et Jean-Luc Outers, francophone, entreprennent une correspondance entre mars 2008 et juillet 2009. Dix-sept mois à observer la décantation lente des frictions communautaires qui conservent les artères battantes de notre pays à leur rythme le plus plat. Lettres du plat pays est l’assemblage de 52 courriels, écrits comme sur du papier sous enveloppe, dont le principal intérêt découle directement de la forme épistolaire et de son contournement. Contrairement à la tradition du genre, le lecteur ne pénétrera pas ici dans une intimité violée, ne bénéficiera que de maigres révélations individuelles. Nous avons affaire à une correspondance inscrite dès sa conception dans le domaine public, puisqu’elle était initialement destinée à être publiée simultanément dans les quotidiens Le Soir et De Morgen. De ce fait, on perçoit dans cet ouvrage un rapport poli et curieux, toujours très entendu et nourri de comparaisons, frappé parfois par la découverte. Plutôt qu’en de longs débats passionnés portant sur l’affirmation d’un attachement national inébranlable, la matière de la correspondance se construit à pas de fauve, respectueusement et sans agressivité. Une seule tension, très vite endiguée, est à recenser dans ces pages. Et nous constaterons qu’entre ces gens de lettres, les mots et leur combinaison fâchent plus que les idées. Ce n’est pas la question de la royauté qui irrite, c’est le ton employé par l’autre pour cataloguer le premier d’adulateur de la couronne. Les allégories d’une nation à l’agonie ne parviennent pas à brouiller les correspondants. Leur témoignage ne propose aucune guérison aux maux du pays, ce n’est pas l’objectif de la démarche. Les auteurs ne se font aucune illusion quant à l’avenir d’une Belgique condamnée à la séparation. De la forme épistolaire en littérature, il reste cette garantie d’un ancrage dans le réel, pas superflu au pays du réalisme magique. Sont abordés dans ces lettres quelques sujets globaux attenant à l’actualité, quelques impressions lyriques sur la qualité des paysages belges et les souvenirs qu’ils évoquent chez l’un et l’autre. Mais, relativement à leur pays, on ne percevra nulle part de passion commune digne des romantiques, une raison de se rassembler en nation, là où le propos de départ semblait le demander. Les correspondants se questionnent beaucoup, se répondent peu. Il est assez troublant de constater à quel point ces deux-là peinent à se rencontrer vraiment par leurs échanges. On peut s’attendre à ce que les liens tissés ici ne se prolongent pas plus en avant autour d’un sentiment national. Au final, un constat : ce qui lie sincèrement Hemmerechts et Outers, c’est la littérature qui, dans sa relative universalité, fait de tous les auteurs des concitoyens relatifs à travers toute frontière. Relatifs puisque, comme le remarquait Pierre Assouline parlant de Paul Verhaeghen : « De tous les arts, la littérature est celui qui se prête le moins à la globalisation. À cause de la langue. Elle vous rappelle qui vous êtes et d’où vous venez. »