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Critiques de livres

Paul G. DULIEU
Lettre de Copacabana à Christophe demeuré en Courtelande. Récits de voyage
Bruxelles
Éditions Biliki
2010
131 p.
14 €

On ira tous, tous, tous à Copacabana
par Pierre Tréfois
Le Carnet et les Instants N°162

Quand on est originaire de Courtelande – « trois arpents de brouillard traversés par des querelles linguistiques » – et que l’on se retrouve dans un pays-continent (comme on parlait jadis de cité-État), le Brésil, où « tout est couleur mouvement explosion lumière » (Blaise Cendrars, cité dans l’ouvrage), il y a de quoi perdre le nord (ou l’oublier sans regret) et se concentrer sur le foisonnement dans lequel cette heureuse migration vous a parachuté.
Le scribe inspiré de cette Lettre de Copacabana, Paul G. Dulieu, ne s’en prive pas. Avec l’émerveillement d’un enfant, la lucidité d’un ethnologue et la fièvre d’un amoureux, il circule, furète, observe, se prélasse et analyse ce quartier de Rio de Janeiro, qu’il découvre en dérivant dans ses rues, ruelles et culs-de-sac – sans oublier la plage, bien sûr, révélateur psychologique et social par excellence.
Au cours de ses pérégrinations dans ce qui n’est, somme toute, qu’un microcosme perdu dans un territoire de 8 500 000 km2, le narrateur s’imprègne du pays tout entier (ô grâce des métonymies !) et fait part de ses éblouissements ou révulsions à son « poteau » Christophe, casanier englué et célibataire endurci, rivé à sa grisaille natale.
Qui pourrait résister à la saveur nonchalante des scènes décrites, qu’elles concernent le « futebol », le « coquetel » génétique, le bruit-brouhaha omniprésent, l’extraversion, la convivialité, l’ingéniosité populaires et les charmes féminins aussi généreux que le soleil sous ce tropique du Capricorne ?
Qui ferait grise mine en lisant ces multiples anecdotes et notules édifiantes ou « humoresques », relatées par une plume saisie par la samba ?
Mais l’auteur ne s’en tient pas à ce qui suscite rêverie, sympathie, voire fantasmes ; c’est que la « jungle capitaliste » se développe ici plus cruellement et intensément qu’ailleurs : les « favelles », les enfants des rues, les chiffonniers, l’insécurité, le banditisme en rappellent, au quotidien, la « férocité sans nom ». Dans ces saynètes et tableaux-ci, Paul G. Dulieu s’approche des roboratives dénonciations sociales d’un Jorge Amado et tourne donc le dos aux « cornichonneries » ésotériques d’un Paulo Coelho – moqué, à juste titre, dans une estocade intitulée Docteur Lapin.
On croise d’autres personnalités au détour de ces pages : le délicieux Chico Buarque, l’énigmatique Raoni, le roublard Sting ou le détestable comte de Gobineau. Mais le véritable « héros » de ce livre enthousiaste et malicieux, c’est le peuple brésilien dans sa diversité ondoyante, son sens inné du rythme et de la couleur, son increvable joie de vivre. Ce peuple à qui revient, quoi qu’il jouisse ou subisse, l’« usufruit de la beauté du monde ».
Paul G. Dulieu lui rend un hommage composite, nuancé et enamouré qui devrait transformer tous les célibataires casaniers de Courtelande et d’ailleurs en globe-trotters frénétiques.