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Critiques de livres

Béatrice SZAPIRO
Christian Beck, un curieux personnage
Paris
Arléa
2010
197 p.
15 €

Christian Beck : un personnage curieusement fascinant
par Laurence Ghigny
Le Carnet et les Instants N°162

Un curieux personnage est le titre de l’ouvrage que Béatrice Szapiro consacre à son arrière-grand-père Christian Beck. Le livre fonctionne comme un voyage temporel et géographique la recherche de cette figure intellectuelle et artistique dont la « curiosité » réside sans aucun doute dans le caractère polymorphe et vagabond. Une recherche aux accents familiaux qui se reflète dans la forme intimiste, basée sur le tutoiement, choisie par Béatrice Szapiro. Ce procédé pourrait faire craindre la mise en place d’une connivence quelque peu artificielle, d’autant que le « dialogue », qui se joue exclusivement de la narratrice vers son sujet, est à sens unique. Mais au fil des pages cette crainte s’estompe. Pas de subjectivité ou de sentimentalité envahissante. Le style fluide de Béatrice Szapiro associe, dans une construction habile, des citations de Christian Beck ou de nombreuses personnalités qui l’ont côtoyé. L’éclatement typographique du texte, qui résulte de l’accumulation de ces passages rapportés, ne porte pas préjudice au fond. Au contraire, ce procédé permet à Béatrice Szapiro de se livrer avec succès à l’exercice ardu de la construction biographique, tout en assumant une difficulté supplémentaire : celle de la nature « papillonnante » de Christian Beck. L’enquête de la narratrice débute et se termine à Menton, dans le cimetière où Beck a été enterré. Entre les deux, une série de brefs chapitres, pans de cette vie remplie de projets, d’audaces, d’envies et de désirs. Une existence qui montre la même fulgurance face à la mort puisque Christian Beck est emporté par la tuberculose à l’âge de trente-sept ans. Vie brève, mais puissante, qui fascine et renvoie aux grands événements et enjeux de la fin du XIXe siècle et du début XXe, tels que le scandale de Panama, la naissance des nationalismes, l’affaire Dreyfus, l’anarchisme ou la Première Guerre mondiale.
Né à Verviers, fils d’un marchand de savon, Beck va voyager par lubie ou nécessité, mais généralement sans un sou en poche. Il se rend à pied, à cheval ou en train en France, en Russie, en Italie et en Norvège. Beck, le révolutionnaire, qui a des idées sur tout, s’efforce de n’avoir peur de rien. Il côtoie Jarry, Mockel, Wilmotte, Tolstoï et bien d’autres. Cependant, dans ce tourbillon effréné de rencontres et de connivences intellectuelles, André Gide apparaît comme l’unique point fixe.
Précepteur pour un prince russe, représentant de commerce, journaliste, créateur d’une méthode curative de la tuberculose en altitude, militant pour l’expansion de la langue française, Beck fut également fondateur de revues. Parmi celles-ci Antée qui regroupera les plus grands auteurs belges et français du symbolisme et du naturalisme. Beck est l’homme aux mille projets dont neuf cent nonante-neuf avorteront ou mourront. Tour à tour créateur d’associations pour l’appel à la désertion ou à la fomentation d’intrigues généralisées, auteur d’essais, de romans, d’articles et d’études, l’écrivain de Papillon, journal d’un romantique virevolte dans des battements d’ailes constants entre sciences, spiritualité, politique et littérature.