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Critiques de livres

Yun Sun LIMET
Maurice Blanchot critique
Paris
Éditions de la Différence
2010
144 p.
15 €

Blanchot et les énigmes de la littérature
par Ghislain Cotton
Le Carnet et les Instants N°162

Maurice Blanchot : un nom familier dans l’univers des lettres, mais un écrivain dont l’œuvre est souvent méconnue ou oubliée. Œuvre romanesque, mais aussi et surtout œuvre de critique et de réflexion sur la littérature. C’est à ce dernier aspect que s’attache précisément l’essai de Yun Sun Limet. Docteur ès lettres, cette native de Séoul, mais de nationalité belge, a enseigné aux universités de Paris 8 et de Louvain. Également romancière, elle travaille aujourd’hui dans l’édition. Né en 1907, Blanchot a vu sa réputation largement compromise depuis une trentaine d’années, lorsque l’on a voulu mettre plus en lumière son passé de jeune journaliste collaborant dans les années 30 à plusieurs journaux et revues de droite (parfois extrême), d’inspiration maurrassienne, mais pour la plupart minés durant cette décennie par des divergences d’orientation et d’interprétation. L’essai de Yun Sun Limet éclaire cette période où Blanchot s’interroge notamment sur le rapport entre littérature et révolution. Il examine ensuite l’évolution de sa pensée durant la guerre et sa réflexion sur le rôle de l’écrivain face à l’occupation. S’il renonce alors à s’exprimer sur le plan purement politique, Blanchot poursuit sa quête du sens de la littérature dans ce contexte et ouvre à ce propos une voie paradoxale où le silence prend une signification particulière « qui informera une bonne part de [ses] écrits critiques après la guerre ». Bien entendu, il ne pourrait s’agir ici de refaire un condensé – à la fois insane et chimérique – des observations pointues de Yun Sun Limet sur les substrats et les nuances d’une pensée et d’une œuvre consacrées à la littérature et à sa critique (terme qui recouvre à la fois regard sur l’œuvre littéraire et propos sur l’essence même et la légitimité de la littérature). Pensée « complexe, non pas obscure » dont la singularité fait de Blanchot cette espèce d’hapax référentiel que toute réflexion approfondie sur le sujet se doit au moins de prendre en considération. Elle tourne notamment autour de l’hypothèse émise dans L’énigme de la critique : « C’est – écrit Blanchot – qu’il y a peut-être dans toutes les formes de la littérature un mystère et que ce mystère, le moyen de le cerner, de le provoquer, de le circonvenir, ne consiste pas nécessairement à le faire disparaître ; plutôt à le laisser tel qu’il est, familier et étrange, lointain et conciliant, facile et impossible, de toute manière irréductible. L’énigme de la critique doit peut-être se chercher de ce côté-là. » L’ouvrage de Yun Sun Limet qui explore aussi la notion d’« espace littéraire » et les références aux mythes exploités par Blanchot (avec d’intéressants détours par les œuvres de Kafka ou de James), évoque in fine le « renversement fondamental » qu’il a toujours « maintenu et maîtrisé » et « qui part de cet événement possible et impossible, pensable et impensable, qui absorbe tout sens et donne sens à tout, qui est le temps dans son entier et l’absence de temps, la mort, moins la sienne que celle d’autrui, « la mort sans phrases ».