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Critiques de livres

Edgar KOSMA
Éternels instants
Bruxelles
Luc Pire
Le Grand Miroir
2010
239 p.
16 €

Le hasard et la nécessité
par Ghislain Cotton
Le Carnet et les Instants N°161

On sait que chez certains êtres, une forme légère de la perversité, non pas au sens moral mais psychique, se manifesterait par une attention maniaque à des schémas, des séries, des mots d’ordre à usage personnel, le tout concernant des sujets selon toute apparence dénués d’intérêt. Sauf s’ils s’avèrent si profondément basiques qu’ils restent enfouis dans l’inconscient et dans l’insouciance du citoyen ordinaire. Ces considérations pourraient concerner de près Cédric Bergen, héros principal d’Éternels instants. Un premier roman d’Edgar Kosma, récent trentenaire, Namurois d’origine et partagé entre philosophie et journalisme. D’une veine et d’un ton à coup sûr originaux, ce texte pourrait être qualifié de petit laboratoire plaisant et romanesque. Jouant – le titre en fait foi – sur les arcanes, l’élasticité et les ambiguïtés du temps, il n’est pas sans rappeler aussi les mécanismes aléatoires ou les futuribles développés par le cinéaste Jaco Vandormael dans Toto le héros ou dans le tout récent Mr Nobody. Il n’en reste pas moins un roman à part entière où le joyeux laborantin Kosma sonde trois générations issues de ce duo célèbre : le hasard et la nécessité qui ont présidé, en 1940, à la rencontre, dans une cave et sous les bombes, d’Armand et d’Hélène qui engendrèrent Bernard qui, avec la complicité adventice, mais confirmée de Jeanne, engendra Cédric qui « devint une réalité aérée le 4 décembre 1978. Début d’une vie, quelque part ; et, simultanément, fins d’autres un peu partout ». Étant acquis que la mort sera « toujours en train de venir à sa rencontre » et que d’autre part « une existence n’est finalement rien d’autre qu’un flux temporel savamment organisé ». Si, avec sa collaboration active incarnée par un « carnet bleu », la vie et les comportements de Cédric passent par l’éprouvette des théorèmes existentiels de son auteur (celui du livre), on n’en est pas moins plongé dans une dramaturgie romanesque. Et si elle relève elle aussi des caprices d’un hasard à choix multiple revu par les diktats de la nécessité, elle n’en est pas moins faite de quelques troublantes surprises. Comme de revoir en flash-back feu la maman de Cédric prendre le chemin du trottoir à travers les vitres du salon. Conséquence directe d’un mouvement d’humeur de son mari qui, plus tard, dans un accès de remords, fusillera au hasard huit passants malchanceux. D’où condamnation à perpète suivie de son suicide après avoir écrit à Cédric une lettre qui lui sera remise quinze ans plus tard. Lettre, accompagnée elle-même d’une autre lettre. Celle du grand-père Armand à son fils, parvenue, elle aussi, à son destinataire après de nombreuses années et par une voie hautement aléatoire. Mais qu’est-ce que ces années dans l’infinitude du « flux temporel » que pourrait concrétiser la mission compulsive, absurde et sacrée confiée par Armand à ses descendants : aligner la suite des nom¬bres jusqu’à l’infini… Ce n’est là qu’un élément de ce roman où, d’une plume alerte et ingénieuse, l’auteur choisit le meilleur parti pour évoquer ce qui nous contraint ou nous échappe : celui de la dérision signifiante.