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Critiques de livres

Yun Sun LIMET
1993
Nice
La Rue de Russie
2009
173 p.
14 €

Des carnets d’Histoire, de toutes les couleurs
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants N°161

Sobrement intitulée 1993, cette longue confidence de femme, tout individuelle qu’elle soit, dans le ressenti et sa communication, dans la réticence elle-même, est une trace d’Histoire. Ces « cahiers », en effet, ressortiraient à la discipline récente de l’histoire de la vie privée s’ils n’étaient de fiction. Mais le sont-ils totalement, alors que le mot roman n’est avancé qu’à la page de titre ? Peu importe d’ailleurs, l’essentiel est qu’ils parlent vrai. D’emblée, le texte nous fait pénétrer dans l’intériorité d’une réflexion, peut-être en cours depuis longtemps, comme le laisse pressentir la première phrase : « Je n’ai toujours pas trouvé de sens à ma vie » (je souligne). Le ton aussi, traduit trahit la pensée ou la parole pour soi : avec ses hésitations, ses coupures, ses insertions, ses retours, ses ajustements. La modération, la modestie : « bouleverser est peut-être un grand mot ». Ou, à l’inverse, la notation compulsive, litanique des tâches, des devoirs, des problèmes : tous ces signes de l’émotion perceptibles sous le phrasé pudique, presque blanc. Cette simplicité de ce qui se dit, s’énumère, sans effets, fait sens, ce sens pourtant absent de la vie, un non-sens en quelque sorte, avec un fonds matériel évident : le manque, la privation, la précarité sinon la pauvreté. D’où vient vraiment cette difficulté d’être, cette tristesse à vivre, malgré la présence d’une enfant, seule raison d’agir encore, seul mobile quotidien. C’est ici que le destin privé d’une femme s’intègre dans une histoire plus générale, dans un contexte social précis, daté et localisé, dont la conscience est diffuse voire confuse par défaut des moyens d’analyse.
Une sorte de détresse plane, indéfinie pèse sur elle, jusqu’au jour où la rencontre avec un gâteau, avec le vieux cosaque qui l’a confectionné de ses mains, coïncide avec la révélation que l’engagement existe, sincère, chez un homme politique différent des autres, Pierre Bérégovoy. Grâce à lui, à peine entrevu, la narratrice accède à la compréhension de l’histoire, fait la différence entre le « grand soir » auquel on ne croit plus et la « grande nuit » qui s’est abattue. Elle se met à lire, et puis à écrire. Lecture et écriture s’entretiennent réciproquement, aident à admettre et peut-être à maîtriser la réalité. Voici la ferveur retrouvée, grâce à un personnage emblématique, sorte de héros de notre temps, du sien en tout cas, porteur de toutes ces possibilités que cette femme avait en elle sans les avoir jamais vues.
Yun Sun Limet, dont le roman Les candidats avait obtenu en 2005 le Prix de la Communauté française accordé à la première œuvre, nous livre ici le récit d’une renaissance, simple comme un bref rapport, mais palpitant dans l’intervalle deviné.