pdl

Critiques de livres

Régine VANDAMME
Feu
Bordeaux
Le Castor astral
coll. Escales des lettres
2010
152 p.
13 €

L’homme incendié
par Michel Torrekens
Le Carnet et les Instants N°161

Régine Vandamme a déjà montré son talent et sa sensibilité pour mettre en scène les blessés de l’existence, notamment dans Ma mère à boire qui inaugurait son entrée en littérature en 2001 (Prix de la première œuvre de la Communauté française). Le lecteur retrouvera dans son dernier roman, Feu, cette proximité narrative avec un personnage à la dérive. Pour y arriver, elle utilise astucieusement le tutoiement, sans que l’on sache précisément qui se cache derrière : un proche, l’auteur, la mère angoissée et omniprésente, le personnage qui dialoguerait intérieurement avec lui-même. Ce personnage, Hugues Worm, 44 ans, a décroché de son métier de journaliste qu’il avait pourtant vrillé au corps. Nous le surprenons au cœur d’une journée d’été caniculaire, entre deux histoires, dont le provisoire est devenu définitif, éloigné de ses quatre enfants intermittents, particulièrement depuis sa sortie d’un service psychiatrique. Service dont il est sorti pas tout à fait guéri. Nous le suivons quasiment minute par minute tout au long d’une journée fatidique, un 23 juin à Lille, et Régine Vandamme décrit avec une précision d’entomologiste « une vie écrasée par l’étau du mal de vivre ». Tué par l’ennui, il s’accroche aux anxiolytiques, aux antidépresseurs, aux bières Desperados (on n’aurait pas pu trouver meilleure marque !), au Ricard, aux cigarettes, qu’il mélange en de dangereux cocktails. Il est aussi tenté par des compulsions consuméristes qui l’empêchent d’être lui-même. Et laisse traîner son linge sale qu’il ne confie plus à sa mère comme il l’a fait durant des années, même marié. Il porte toujours les blessures d’une séparation douloureuse, alors que ses trois enfants étaient encore jeunes, sans compter celui né d’un moment d’égarement, d’une illusoire réconciliation. Il est ainsi entraîné dans une errance domestique, casanière, voire carcérale si tant est que l’on puisse dresser soi-même les murs de sa prison. Les coups de téléphone inquiets de sa mère ne le consolent pas de sa solitude, de son irrémédiable solitude, de sa folie, de sa peur, ces « vieilles amantes exigeantes ». Certes, il cherche de quoi résister au lent déroulement d’une journée sans but. « La télé, le lecteur DVD, le magnétoscope, l’ordinateur, l’imprimante, la chaîne hi-fi, le casque audio, dans leur mode veille, distillent un pouvoir d’apaisement. Le noir est moins noir, la solitude moins solide, la peur moins pesante. Tu restes un homo connecticus. » Mais déconnecté, il l’est bel et bien. Empêtré dans la gangue de l’enfant gâté et surprotégé qu’il n’a jamais cessé d’être, encombré par un amour maternel « piranhique », il aspire selon son expression au droit de « sous-vivre » dans un monde où « il n’aurait plus à inventer son propre oubli ». Déjà étouffé par la canicule, consumé de l’intérieur, incendié par ses conflits intérieurs, il ne manque plus qu’une étincelle pour qu’il implose.