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Critiques de livres

Michel CLAISE
Les années paix
Avin
Luce Wilquin
2010
365 p.
22 €

Guerre puis paix
par Thierry Detienne
Le Carnet et les Instants N°161

Avec La salle des pas perdus, Michel Claise avait donné un tableau magistral de la genèse et du déroulement de la Seconde Guerre mondiale au départ de la réalité de quelques citoyens belges. Avec une prédilection pour les brassages d’idées, les résistances et les trahisons qui ont marqué les esprits au plus profond. Fort de cet exercice réussi, il a repris la fable là où il l’avait laissée, à la Libération. Les personnages s’ébrouent à peine dans le soleil retrouvé que de nouveaux enjeux surgissent, entraînant ce petit monde dans de nouveaux tourments : les conseils de guerre jugent les traîtres, la question royale divise les Belges et allume de violents conflits sociaux. Ces faits neufs sont vus à travers le prisme de deux figures, Marianne et Charles qui incarnent le journalisme engagé. À leurs côtés et avec leurs collègues, nous sommes en direct au Bois du Cazier, dans la manifestation interdite de Grâce-Berleur, violemment réprimée, au pied de l’avion qui ramène au pays le roi Léopold contesté. Aux côtés de Simon et David, avocats, nous suivons la traque des nazis dans le monde, la défense des femmes et médecins accusés d’avortement. Car c’est bien là le grand art de Michel Claise : puisant dans l’histoire et nous la donnant à vivre jour après jour, il pointe le foisonnement fantastique d’une époque où tous les espoirs étaient permis. Celui de l’exposition universelle de Bruxelles forte des progrès scientifiques et industriels, celui de la montée en force des droits des femmes, de la liberté de l’amour et de la presse. Mais il ne cache pas les doutes terribles sur le prix humain de la mise en œuvre du communisme à l’est. Le Congo, en route vers l’indépendance, n’est pas oublié. Il vit les derniers moments du colonialisme dont les dérives sont pointées par Jean-Marie, employé à l’Union minière du Haut-Katanga. Le trait commun entre tous ces témoins, c’est leur soif de vivre libres, leur recherche de vérité, d’authenticité dans un monde brutal et injuste. Quitte à remettre en cause les idées séduisantes, à renoncer au rêve doux auquel on s’est arrimé. Cette vitalité libertaire est sans nul doute la clé de voûte de ces « années paix » dont on mesure trop peu les changements qu’elle a apportés. Ce souffle traverse la narration qui entrecroise les destins comme pour les présenter en miroir. Michel Claise, qui livre simultanément une version revue de Salle des pas perdus, trace d’une écriture soignée son chemin d’écrivain au cœur des débats qui traversent la société moderne. Comme pour rappeler que le devoir de mémoire est un exercice toujours salutaire.