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Critiques de livres

Marie France VERSAILLES
À l’ombre de la fête
Louvain-la-Neuve
Éditions Quadrature
2010
127 p.
16 €

Famille, je vous hai-me
par Michel Torrekens
Le Carnet et les Instants N°161

Les éditions Quadrature, nées de la passion d’une dizaine de personnes pour la fiction et plus particulièrement pour la nouvelle, publient leurs recueils au rythme de quatre chaque année. Lors de la dernière Foire du livre, elles ont fêté leur cinquième anniversaire et, quand on sait les difficultés d’exister aujourd’hui dans l’édition, c’est déjà une belle réussite qui mérite d’être saluée. À cette occasion, les éditions ont sorti leur dix-neuvième titre : À l’ombre de la fête, de Marie France Versailles. Psychologue de formation, elle a d’abord travaillé dans un centre de santé mentale bruxellois, puis a exercé le métier de journaliste, essentiellement dans le domaine de la petite enfance. Cette première passion pour l’écriture mise au service du plus difficile des métiers, celui de parents, s’est convertie en passion pour la fiction, d’abord en ateliers d’écriture, ensuite dans sa retraite ardennaise.
Sa sensibilité psychologique, son regard affuté sur les êtres transparaissent dans les six nouvelles du livre. Six nouvelles, six prénoms. Six personnages et d’autres à l’intersection d’une famille. Car tous ces personnages, et donc tous ces textes, sont liés les uns aux autres comme on peut l’être dans une famille. Marie France Versailles inaugure de la sorte le premier « roman par nouvelles » des éditions Quadrature, une architecture narrative qui permet de lire indépendamment chaque texte et le tout comme un ensemble. À tel point que la dernière nouvelle constitue en elle-même une superbe chute, puisqu’elle se révèle être le lieu du dévoilement d’un secret qui concerne chaque protagoniste. Des complicités, des rivalités, des souvenirs partagés ou non, des peurs, des malentendus, mais aussi des réconciliations se nichent dans chaque nouvelle et se font également écho de l’une à l’autre.
Toute une famille, donc, le grand-père, son fils, ses cinq filles, leurs enfants, chacun nanti de sa propre histoire. À l’origine de diverses configurations familiales. Ainsi, Frank, veuf aussitôt remarié, père à la recherche du mode d’emploi de sa fille Manon, qui refuse l’intruse « prête à l’aimer comme une mère ». La phrase assassine comme on en lâche tant par inadvertance et qui pousse l’adolescente à la fugue. Non sans mettre son grand-père dans la confidence. Dans la connivence.
Il y a aussi Fanny, infirmière de campagne, qui se découvre une passion pour l’écriture et s’y voue, malgré les réticences de son mari. L’aînée, Laurence, enseignante à qui tout réussit grâce à une énergie débordante, se plonge dans ses souvenirs d’enfance tandis qu’elle prépare le quatre-vingtième anniversaire du patriarche. Sophie, divorcée, est évoquée par le biais de son fils Youri. Il nous confie sa difficulté d’être un enfant unique face à une mère seule à travers un blog, forme d’écriture qui renouvelle la tradition du journal intime.
Notre préférence va à Pauline, navetteuse de longue date, qui est prise d’un terrible soupçon sur la fidélité de son nouvel amant. La nouvelle se dédouble en un dialogue entre deux voix off : celle d’un observateur qui pourrait être l’écrivain et celle d’un interlocuteur non identifié qui pourrait être le lecteur. Une mise en abyme à travers laquelle l’auteur en dit long sur la genèse d’un texte.
À l’ombre de la fête est un condensé de situations partagées par beaucoup de familles aujourd’hui. Mais traversées par une écriture à la tonalité très personnelle. Elle s’appuie sur des phrases qui sont comme autant de non-dits, sur des atmosphères qui reflètent les interrogations intérieures des personnages, sur des variations de points de vue, sur l’observation d’une gestuelle qui en dit long comme ces mains de Pauline qui parlent pour elle. N’est-ce pas un double de l’auteur lui-même qui dit : « J’aime les gens habités. Sur les lèvres desquels affleure l’écho d’un affrontement » ?