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Critiques de livres

Charly DELWART
L’homme de profil même de face
Paris
Seuil
coll. Fiction & Cie
2010
167 p.
16 €

La vie en vrac
par Daniel Arnaut
Le Carnet et les Instants N°161

Des aphorismes. De courtes nouvelles. Des débuts ou des fins d’histoires. Des listes, surtout, beaucoup de listes, y compris une « liste des listes possibles ». Des dérives, des rêveries, des rapprochements incongrus, des situations cauchemardesques, des corps affectés d’étranges mutations. Le genre de choses qui vous traversent quand l’esprit se met en vacance, tente de prendre du recul et de porter sur le monde un autre regard, de le percevoir comme s’il était vu pour la première fois. Autant de sujets qui, comme le dit la quatrième de couverture, « n’ont rien à voir ensemble, sinon tout », qu’unifient entre eux les titres, en capitales, souvent très longs, parfois plus que le texte lui-même, souvent drôles aussi avec leur côté faussement didactique ou encyclopédique (« PHRASES DE WINSTON CHURCHILL QUI AURAIENT PU ÊTRE DITES PAR JEAN-CLAUDE VAN DAMME », et l’inverse, « ELLE NE VOUS A JAMAIS EXPLIQUÉ POURQUOI ELLE VOUS A QUITTÉ, ELLE VOUS FIXE RENDEZ-VOUS POUR VOUS DONNER LA RAISON, HYPOTHÈSES », « QUESTIONS QU’IL SE POSA DEVANT LE LÉZARD GÉANT APPARU À L’HORIZON, EN TRAIN DE DÉTRUIRE LES BUILDINGS SUR SON PASSAGE, QUI NE POUVAIT ÊTRE QU’UNE HALLUCINATION COLLECTIVE MAIS PROVOQUAIT POURTANT UNE PANIQUE GÉNÉRALE », etc).
L’homme de profil même de face, le second livre de Charly Delwart, présenté pour des raisons éditoriales comme un roman, est un ouvrage difficilement classable, bien que l’idée de classement y soit partout présente. Il embrasse différents genres sans appartenir à aucun : cela va de l’humour un peu potache (une liste d’empereurs romains qui pourraient être des noms de bactéries) à des observations plus profondes sur la vie et sur le monde (une liste de raisonnements inadéquats qui ont conduit à des impasses). Des thèmes y reviennent, qui dessinent en filigrane l’histoire d’un couple, esquissent les contours de la société où nous vivons. Une sorte de petite philosophie portative, qui a l’élégance de ne pas s’appesantir ni se prendre au sérieux. Il y a là du Alphonse Allais ou du Pierre Desproges, il y a aussi du Lao-tseu et du Marc-Aurèle revus par Borges ou par Michaux. Le livre de Charly Delwart est le genre d’ouvrage que l’on publie entre deux autres plus substantiels. Moins ambitieux que son roman Circuit, critique du monde des médias et de la société du spectacle, ce livre-ci se lit sans conteste avec davantage d’agrément.
Signalons en passant que le Seuil se met à l’heure de l’écologiquement correct. L’ouvrage, imprimé sur papier recyclé, avec une couverture beige légèrement mouchetée, est fabriqué selon des procédés techniques respectueux de l’environnement. Et pourquoi pas ? C’est quand même mieux que des livres reliés peau de phoque…