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Critiques de livres

Jean-Marie KLINKENBERG
Périphériques Nord
Liège
Éditions de l’Université de Liège
2010
228 p.
21 €

Pleins feux sur une périphérie bien redessinée
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants N°161

Le volume Périphériques Nord rassemble des textes majeurs de Jean-Marie Klinkenberg sur une des littératures périphériques qu’il connaît très bien, la nôtre. Si l’objet de ces études est littéraire, l’auteur ne l’envisage jamais sans la langue, en linguiste, sémiologue, philologue qu’il est, et en concepteur de modèles gravitationnels qui font autorité aujourd’hui, comme nous le rappellent dans une judicieuse introduction ses collaborateurs Sémir Badir et Benoît Denis. Sachant que la langue n’est pas un bloc mais une somme de variétés, la langue littéraire se définira comme un possible linguistique relatif et relationnel. D’où la notion d’insécurité linguistique tellement importante pour expliquer les choix d’écriture de nos auteurs. Comme la situation de la littérature belge en langue française est périphérique par rapport à l’instance parisienne, et qu’en conséquence le choix se résume pour eux à l’assimilation ou à la différentiation, l’insécurité linguistique qui en résulte ne peut produire qu’une exigence de purisme ou à l’inverse une compensation baroquisante. Cette modélisation rompt de toute évidence avec le discours autonomisant sur la littérature auquel nous avons été longtemps habitués. Non seulement il faut composer avec la situation périphérique, mais aussi tenir compte de la perspective sociologique interne, la question identitaire de notre littérature ne pouvant se définir qu’en fonction du contexte politique, social et économique dans lequel se développe la vie littéraire. C’est ainsi que le présent recueil s’organise en deux parties : la première développe en cinq chapitres le modèle gravitationnel qui autorise l’étude des littératures francophones et, en particulier, celle de la production littéraire et de ses agents en Belgique francophone ; la seconde propose huit études de cas où ce modèle est observable. Par exemple l’idéologie de la « littérature nationale » de 1830 à 1839 est replacée dans son contexte historique et reprend sa fonction symbolique qui est de concourir au prestige de la nation, ce qui ne peut que renforcer le rôle de La légende d’Ulenspiegel en tant que texte fondateur d’une littérature autonome. Par ailleurs le mythique phénomène Jeune Belgique est ramené à de justes proportions. Sans être vraiment une avant-garde, puisqu’il n’effectue pas de révolution langagière et n’innove pas en matière esthétique, ce groupe qui parle d’une seule voix a un impact important par la place qu’il réserve à la poésie, par sa déclaration collective de professionnalisme, son goût pour la polémique. Le lecteur appréciera aussi les mises au point objectives de l’auteur touchant l’influence de la « nordicité » dans l’image littéraire de la Belgique, les signifiés du manifeste du Groupe du lundi, l’absence de littérature wallonne ou la modernité paradoxale du champ culturel liégeois. Ceci n’exclut nullement l’intentionnalité manifeste du ton lorsqu’il s’agit d’exprimer des convictions personnelles.