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Critiques de livres

Frédéric THOMAS
Salut et liberté : regards croisés sur Saint-Just et Rimbaud
Bruxelles
Aden
2009
233 p.
10 €

Pour une liberté libre
par Rony Demaeseneer
Le Carnet et les Instants N°161

Qu’écrire encore sur Rimbaud ? Sous quel angle nouveau l’aborder ? Quiconque relève le défi est immédiatement confronté à la masse bibliographique déjà parue sur « l’homme aux semelles de vent ». Qu’à cela ne tienne ! Après un premier ouvrage ambitieux consacré aux affinités révolutionnaires entre Marx et Rimbaud paru chez L’Harmattan sous le titre Rimbaud et Marx : une rencontre surréaliste (2007), Frédéric Thomas, poursuit ici sa recherche en croisant cette fois les vies de Rimbaud et de Saint-Just. D’emblée, disons que le pari est réussi ! En mêlant aux analyses critiques les accents d’une écriture plus personnelle, l’auteur parvient, avec subtilité, à éviter les pièges d’une langue érudite sans pour autant négliger la rigueur intellectuelle qu’exige une telle entreprise. Dans la première partie, Frédéric Thomas nous invite à suivre le parcours des deux hommes en interrogeant leurs textes et en scrutant, au travers d’éléments biographiques, les thématiques qui les unissent. Chez l’un comme chez l’autre, il y a d’abord cet extrême désir de liberté. Une insatiable soif d’« ailleurs » qui s’incarne pour Saint-Just dans la responsabilité politique, pour Rimbaud dans l’élan poétique. Afin d’atteindre cette « liberté libre » chère à l’auteur d’Une saison en enfer, il faudra se faire révolutionnaire, devenir « voyant ». Pour Saint-Just, l’engagement dès 1792, à l’âge de 22 ans, témoigne de cette dynamique de l’action. Chez Rimbaud, c’est la poésie qui sera « en avant » ; son sort sera dès lors irrémédiablement lié à celui de la révolution. Dans son livre Rimbaud et la Commune, publié en 1971, Pierre Gascar rappelait déjà que, selon les propos de son camarade de lycée Ernest Delahaye, Rimbaud, depuis l’âge de 15 ans, montrait des sentiments révolutionnaires. Témoignage de première main qui insiste sur la précocité de l’adolescent, sur son audace et son désir de rupture. Des mots clés sur lesquels va s’appuyer Frédéric Thomas pour mieux décortiquer les programmes poétiques et politiques des deux hommes. La seconde partie du livre s’attache à questionner le silence de Saint-Just et de Rimbaud, comme une sorte de fatalité, une « conscience aiguë du bonheur approché par son versant malheureux », comme une intuition, une mise à l’écart quasi ontologique qu’aucun des deux ne pourra dépasser. Une histoire de coupe sombre en somme ! L’un sera guillotiné à 27 ans, après un procès pendant lequel, bizarrement, il ne pipera mot ; l’autre mourra amputé à Marseille à 37 ans après un silence poétique d’une vingtaine d’années. Deux destins voués à se taire et que l’auteur nous restitue de manière sobre et intelligente. Deux voix tendues vers le silence que Rimbaud résume à sa manière dans un de ses textes : « C’est trop beau ! Trop ! Gardons notre silence ».