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Critiques de livres

Florence RICHTER
Ces fabuleux voyous
Paris
Hermann
2010
189 p.
25 €

Crime et littérature
par David Branders
Le Carnet et les Instants N°161

Criminologue familiarisée à la littérature, Florence Richter conjugue dans son essai un double intérêt : intérêt naturel pour les écrivains tombé dans la rubrique judiciaire et, issu de celui-ci, intérêt pour le thème du droit en littérature.
Le champ d’investigation et de réflexion est vaste. Il s’agit donc ici de quatre portraits d’écrivains fruit d’un choix délibéré étayé par des restrictions nécessaires. Villon, Sade, Verlaine, Genet : quatre figures remarquables et quatre destins délinquants aussi, dont l’analyse se veut un dialogue constant et éclairant entre approche littéraire et reconstitution juridique.
À ce titre, le cas de François Villon relève de l’exemplarité. Ses poèmes, d’une bouleversante humanité, empruntent à la plaidoirie, voire même, bien qu’avec satire, à l’acte juridique (le Testament). Poésie donc, mais témoignage précieux sur le droit de l’époque aussi, qui, en retour, offre le matériel indispensable à une interprétation de Villon, homme et poète, à un niveau de conjecture mesurable et pertinent.
Tout le monde connaît l’épisode des coups de revolver portés par Verlaine à Rimbaud. Emprisonné aux Petits-Carmes, forcé à la sobriété, dans la routine des interrogatoires et des attentes, dans le rituel des corvées et du règlement, dans l’isolement aussi, Verlaine écrit, avec une productivité inédite, sans préjudice de la qualité. La prison, cadre sécuritaire et ordonné, inspire le poète maudit, l’alcoolique débauché, le « fabuleux voyou ».
La chronologie dicte la succession des portraits, mais à l’évidence ce sont deux duos qui se chevauchent ; deux duos qui justifient au fil de l’essai l’originalité et les perspectives critiques du quatuor. D’un côté, Villon et Verlaine qui sont des délinquants « malgré eux ». Délinquance inscrite au cœur de leur œuvre et aux conséquences dramatiques peut-être, mais fondamentalement anecdotique. De l’autre, Sade et Genet. En eux se mêlent inextricablement vie, légende, crime et littérature.
Avec Sade, le résultat de ce mélange est une littérature dite de l’enfermement. Florence Richter décrit parfaitement les conditions d’incarcération de Sade, conditions dont la cruelle particularité est davantage temporelle que matérielle. L’emprisonnement du marquis est, en effet, dépourvu d’échéances qui pourraient pallier la privation provisoire de liberté et ménager la frustration du libertin. Le refuge devient alors l’ultime des libertés : l’écriture. Aussi abjecte que puisse être cette écriture, aussi lancinant que puissent être ses références érotico-carcérales, elle n’en reste pas moins nécessaire. Pour reprendre la formule de Simone de Beauvoir, en prison « agonise un homme et naît un écrivain ».
Si Sade a connu les privilèges de l’aristocratie avant la déchéance, Genet a fait, pour ainsi dire, le chemin inverse. Fils de l’assistance publique, stigmatisé, voleur précoce, il connaît les placements, les fugues, un véritable bagne pour mineurs, de multiples séjours en prisons et, finalement, le grand monde et les grâces présidentielles. À l’instar de Sade, c’est en prison qu’il va se lancer dans l’écriture et entériner dans ses livres une décision : « devenir ce que les autres l’accusent d’être ». Il en vient ainsi à idéaliser son enfance par une apologie de la criminalité, et par une identification à la chose écrite il substitue une image embellie de lui-même restaurant son amour-propre et magnifiant son destin (magnification qui va jusqu’à imprégner son style). Quelque chose de l’ordre du dispositif, et qui fait écho à Sade. Les deux conservent toutefois une lucidité, mais c’est toujours une nécessité, libératrice et salvatrice, du moins dans une certaine mesure, qui est à l’origine de leur singulière démarche littéraire.
Faut-il en conclure à une nécessité littéraire ? En filigrane pointe cette interrogation qui problématise l’image et l’usage de ces fabuleux voyous et s’inscrit dans un débat actuel, sinon urgent, dont les ramifications débordent sur des préoccupations sociétales. D’un style soigné, justement documenté, Ces fabuleux voyous a le mérite de mettre le lecteur sur la voie d’une réflexion autour d’une conception de la littérature encline à l’excès et complaisante envers les morales transgressives et solipsistes.