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Critiques de livres

Edmond Picard Léon Cladel. Lettres de France et de Belgique (1881-1889)
édition présentée, établie et annotée par Fabrice VAN DE KERKHOVE
Bruxelles
Archives et Musée de la littérature
2009
342 p.
26 €

Des échanges, des rencontres, une amitié : Picard-Cladel
par Jeannine Paque
Le Carnet et les Instants N°161

Si l’on évoque aujourd’hui le nom d’Edmond Picard, c’est plus souvent pour stigmatiser l’auteur d’écrits violemment antisémites que pour louer le promoteur d’un art social, d’une culture pour tous. On aurait tort de se limiter à cette vision partielle d’un personnage qui fut beaucoup plus complexe, comme nous l’avait déjà révélé Paul Aron, notamment, dans Les écrivains belges et le socialisme (1880-1913). Il a joué dans la vie intellectuelle, artistique et même politique de son temps un rôle stimulant. Ce que met encore en évidence le nouveau volume des Archives du futur, Edmond Picard Léon Cladel. Avocat brillant, défenseur de Camille Lemonnier et de Georges Eekhoud traduits en justice pour leurs écrits, Picard fut directeur de L’Art moderne et sut réunir les avant-gardes littéraires et artistiques de la fin du XIXe siècle et du début du XXe. Un grand bourgeois qui va quitter l’aile radicale des libéraux pour rejoindre le mouvement socialiste en formation. Bien différent de lui, Léon Cladel, Français d’origine provinciale, socialiste, auteur de romans vigoureux, d’un naturalisme plus artiste que Zola. Peu reconnu par Paris, il fut au contraire chaudement accueilli par les jeunes écrivains de Belgique, tandis que lui-même fut l’un des premiers à apprécier et encourager la renaissance des lettres belges dans les années 80. Malgré leur origine et leur position sociales contrastées, les deux hommes vont se trouver en accord sur de nombreux points : l’exigence artistique, l’engagement social, notamment, et, de toute évidence, l’estime indéfectible qu’ils éprouveront l’un pour l’autre. C’est tout cela que le présent volume nous permet d’évaluer, en proposant des documents probants : leur correspondance (les lettres de Picard à Cladel ont été déposées aux Archives et Musée de la littérature par Dominique Rolin, la petite-fille de ce dernier) ; la relation par Picard du premier séjour de Cladel dans son hôtel particulier ; des articles du même dans la presse parisienne dont Cladel lui avait facilité l’accès et un pamphlet anonyme qui parodie « l’effet » Picard. Un ensemble qui permet d’apprécier l’engagement de Cladel, la volonté de Picard de percer à Paris et son rôle de passeur d’Histoire immédiate. Ce volume, que l’on doit à l’érudition et au savoir-faire de Fabrice van de Kerckhove, présente les documents entre un avant-propos qui met en place les protagonistes et une postface détaillée qui les replace dans leur contexte géographique, historique, sociopolitique et, bien entendu, littéraire. L’ouvrage permet aussi d’analyser nombre d’épiphénomènes comme ces rapports entre ce que l’on n’appelait pas encore centre et périphérie, qui jouaient tant au sein de la France qu’entre Paris et Bruxelles ; ou un pan d’histoire qu’il faut bien rappeler comme cette vague importante d’antisémitisme dit scientifique qui allait infecter la gauche et même l’extrême gauche. Et, du côté de Cladel surtout, la mise en évidence de positions républicaines opposées au monarchisme belge. Des détails de lettres privées montrent aussi le déficit linguistique, cette « infirmité » que le Belge, Picard, en l’occurrence, éprouve lorsqu’il veut publier en France.