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Critiques de livres

Raymond REDING
Le Roman de Saïgon
Paris
Editions du Rocher
Coll. Le roman des lieux et des destins magiques
2010
332 p.
19,90 €

L’esprit de Saigon
Par Michel Torrekens
Le Carnet et les Instants N°164

Les lieux, dit-on, sont porteurs d’un esprit. Tel est probablement le point de départ qui a amené Vladimir Fédorovski a imaginé la collection intitulée « Le roman des lieux et destins magiques ». Saigon figure désormais au catalogue de cette série originale. Et ce livre est dû, non pas à la plume d’un romancier, mais… d’un chirurgien pédiatrique, Raymond Reding. belge de surcroît, praticien aux Cliniques universitaires Saint-Luc à Bruxelles et professeur ordinaire à l’Université de Louvain. Au début des années 2000, son métier l’a amené à l’hôpital Grall de Ho-Chi-Minh-Ville, l’un des derniers fleurons de la présence française au Vietnam. En 2005, le professeur Reding y a réalisé la première transplantation hépatique, avec une équipe belgo-vietnamienne. Nourri de la passion dont s’est pris le médecin pour le Vietnam, pays riche à bien des égards, il s’est replongé dans l’histoire vietnamienne à travers le prisme de la ville qu’il connaît le mieux. Car notre connaissance de cette région se limite bien souvent à la guerre récente qui a marqué l’inconscient collectif, à travers livres, photos, films. Raymond Reding a voulu aller au-delà et montrer le destin tumultueux de cette cité sur les trois siècles qui ont précédé la guerre du Vietnam. Avec lui, nous découvrons des destinées étonnantes, celles des autochtones bien sûr, de ces rois et mandarins qui ont cru jusqu’au bout à l’identité de leur pays, celles de révolutionnaires aussi qui ont lutté pour lui rendre sa fierté, ou encore celles de missionnaires, de militaires, d’aventuriers qui ont parcouru les rues de Saigon et les vastes étendues du Vietnam, pas toujours avec les intentions les plus nobles. Il décrit avec le souci de la précision les mythes originels, les héros des premiers temps, les dynasties séculaires comme celle des Nguyen, les missions étrangères en Cochinchine, la révolte des Tay Son à peu près contemporaine de la Révolution française, la colonisation française, la Guerre d’Indochine avec la chute finale de Dien Bien Phu. Il montre aussi comment Saigon a été le théâtre des grandes déchirures du XXe siècle et nous permet de relire l’histoire contemporaine par l’autre bout de la lorgnette. Un regret peut-être : qu’en se focalisant sur cette histoire passionnante et souvent tragique, l’auteur ait laissé un peu de côté la Saigon d’aujourd’hui, dans son quotidien, avec le ou les nouveaux visages qu’elle s’est donné, à travers sa population actuelle, ses artistes, ses intellectuels, etc. On sent que Raymond Reding aurait pu nous livrer son expérience toute personnelle, intime et récente, de cette ville fascinante. Ces pages encore à écrire auraient été une belle invitation à faire le voyage, plus seulement dans le temps, mais dans les décors actuels préfigurant le Vietnam de demain.