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Critiques de livres

Patrick DELPERDANGE
Ishango
tome 1
La nuit des métamorphoses
Paris
Nathan
coll. Nathan poche
275 p.
6,90 €

Métamorphoses de Delperdange
par Karel Logist
le Carnet et les Instants N°164

Patrick Delperdange, natif de Charleroi mais vivant à Bruxelles, est décidément un écrivain polymorphe. Dans les pages du Carnet, on l’évoque de temps à autre et on le connaît surtout pour ses romans, entre autres pour son remarquable prix Rossel paru en 2005, Le chant des gorges, un roman noir digne des plus grands maîtres du genre… C’est aussi un nouvelliste dont le dernier recueil est évoqué dans le numéro 163. Mais il est simultanément sur bien d’autres terrains, traducteur d’une dizaine d’auteurs anglais et américains et scénariste des séries de bandes dessinées S.T.A.R. et MacNamara. Chez Casterman, il vient de reprendre le personnage de Lefranc créé par Jacques Martin, un géant de la bande dessinée franco-belge qui nous a quitté il y a peu. Delperdange est aussi depuis 1985, depuis son premier roman Monk qui lui a valu au tout début de sa carrière le prix Simenon, un auteur prolixe de littérature jeunesse où il remporte l’adhésion d’un public jeune et enthousiaste. Il n’aime pas les classifications et déclare vouloir « faire éclater les barrières que l’on pose depuis que la littérature existe. »
Au fond de l’Afrique, aux environs d’Ishango, un village situé au bord d’un grand lac à la frontière du Congo, le lac Édouard, un géologue belge a découvert un petit bout d’os sur lequel avaient été taillées plusieurs encoches. Cet os date de près de 20 000 ans et semble avoir servi de calculette.
Il est conservé à l’Institut royal des sciences naturelles, à Bruxelles. C’est la rencontre avec cet objet qui a inspiré à Patrick Delperdange le point de départ de ce récit fantastique… Martin Kantor et sa petite sœur Guinea ont suivi leur père, ingénieur pour la Continental Corp., au cœur de l’Afrique noire. Mais Martin a, depuis le début du voyage, dans la moiteur de leur hôtel, de mauvais pressentiments. Et, comme pour y répondre, sa sœur, puis son père à sa recherche, disparaissent… Parti lui-même à l’aventure au cœur de la jungle, intrigué par ces policiers qui traquent son père, le garçon va se retrouver en possession d’un os gravé d’étranges marques. Il s’apercevra que ce fétiche permet de se transformer en léopard ! Et aussi d’exercer la magie à la tombée du jour. Mais ce pouvoir ancestral lui impose également une lourde et périlleuse mission : protéger une peuplade de Pygmées en voie de disparition contre les agissements des « Molosses », entendez des hommes blancs, de la Continental Corp. Et les cercles de l’os, qui s’effacent jour après jour, rappellent à Martin que ses jours sont comptés… Des personnages attachants et ambigus croiseront la route de l’adolescent : une jeune archéologue, peut-être manipulée, des indigènes plus menacés que menaçants, le sombre Bassari, un policier prêt à tout pour capturer Martin, auquel il voue une haine farouche, et enfin Boris Kantor, son père qui joue un double jeu et qui n’est peut-être pas étranger aux activités secrètes de cette dangereuse firme internationale.
Voici donc un roman qui cherche à opposer magie noire et populations primitives contre nouvelles technologies et empires financiers. Tout un programme ! Mais une gageure que Patrick Delperdange relève avec maestria dans ce premier tome. Chaque chapitre amène son lot d’aventures – et de métamorphoses de situations – et devrait tenir en haleine et ravir tout jeune lecteur qu’il soit amateur d’écologie, d’exotisme, de fantastique ou d’altermondialisme…
Comme dans ses romans noirs destinés aux adultes, Delperdange excelle à distiller une angoisse, un malaise à la fois physique et moral, composé de sous-entendus et de torpeur. Il s’y entend pour mener tambour battant une histoire palpitante, aux héros attachants et ambigus. Nul doute que les jeunes lecteurs d’Ishango – à partir de 12 ans, conseille l’éditeur – s’aventureront avec Martin au cœur de l’Afrique, qu’ils éprouveront son excitation quand il se trouve transformé en léopard, qu’ils trembleront avec lui quand il est attaqué par les hommes de main du sergent Bassari. Et que leurs cœurs battront pour la jolie Lina… Il y a chez Delperdange un vrai plaisir de conteur, qui n’est pas sans rappeler des maîtres du passé tels Stevenson, Alexandre Dumas ou plus proche de nous Henri Vernes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ces derniers temps, les « facebookiens » ont pu redécouvrir grâce à ce livre précisément les joies du feuilleton.
Bien sûr, beaucoup de questions – peut-être trop dirait un lecteur de mauvaise foi – restent posées à la fin de ce premier tome. Qu’à cela ne tienne : le deuxième tome est terminé et doit paraître en février prochain. Pour plus d’informations ? www.ishango-la-serie.fr. Un peu de patience, les jeunes...