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Critiques de livres

Justine LALOT
Pas grand-chose
Avin
Luce Wilquin
2010
166 p.
18 €

Blanche au Congo
par Thierry Detienne
Le Carnet et les Instants N°164

Tout commence par une scène de stress à l’occidentale, sur une bretelle d’autoroute, alors qu’une jeune femme au retour de son travail se fait doubler par un véhicule lancé à vive allure. Et puis les pistes se brouillent. Ce qui est sûr, c’est que Blanche Grelot, infirmière urgentiste de son état, se sent coupable d’avoir maudit le chauffard et qu’elle ne se remet pas de l’accident. Bref, elle est dans l’état où elle reçoit d’ordinaire les accidentés et leurs proches. À telle enseigne qu’un de ses collègues lui conseille de larguer les amarres et, pourquoi pas, de partir en mission au Congo, là où une équipe de soins cherche du renfort. Blanche n’a rien d’une aventurière. Elle a des manières de vieille fille, l’inconnu l’effraie d’ordinaire, mais la proposition la séduit car elle arrive au bon moment, celui où elle ne sait plus quoi penser. Elle débarque à Kinshasa et ne résiste pas longtemps au tourbillon chaud de l’Afrique : elle est ravie par la vitalité de ceux qui n’ont presque plus rien à perdre, au milieu des enfants soldats que l’équipe accueille. Elle fond au contact des petites mains, des enfants qui l’attendent chaque jour. Elle découvre la force des fables incroyables qui extirpent les maux du souvenir contre lesquels les médicaments ne peuvent rien. Du même coup, elle revisite ses propres fantômes, son enfance étriquée, son dégoût de toujours face au mensonge. Et elle se laisse gagner par le sens de la fête jusqu’à en oublier ses vieilles prudences, portée par la générosité de ses hôtes. Elle en viendrait même à mettre de côté sa peur incoercible des petites bêtes qui mangent les grandes. Au bout d’un périple en brousse, lors d’une virée festive dans un village, le récit bascule à nouveau, comme sous l’effet d’un balancier. La piste narrative est brouillée, imposant un autre scénario alors que nous berçait la mélopée tumultueuse… Justine Lalot nous a bien eus et si une version exclut l’autre, force est de reconnaître que la jeune auteure mène l’intrigue avec art. Se fondant sur une bonne connaissance du Congo, où elle a vécu et exercé comme enseignante, elle livre un premier roman séduisant et enlevé, déployant un univers dont il n’est guère aisé de demeurer distant. Ici, est pris qui croyait prendre dans une inversion qui questionne la relation de soin, les chocs des cultures font des étincelles, célébrant à leur façon le demi-siècle d’indépendance et ce long déchirement qui n’en finit pas.