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Critiques de livres

Vincent FLAMAND
D’aussi loin que je me souvienne, il s’est toujours levé tôt
La Tour d’Aigues
Éditions de l’Aube
2010
79 p.
10 €

Famille, je vous aime
par Jeannine Pâque
Le Carnet et les Instants N°164

La thématique familiale est souvent traitée sur un mode dramatique, comme si les problèmes, l’affrontement, le malheur étaient le propre des relations entre les êtres, contraints par nature ou par soumission à l’usage commun à vivre ensemble. Les protestations les plus véhémentes, la révolte, la haine, la fuite ou le rejet de la fréquentation parentale ont souvent servi de prétexte littéraire et brutalement déterminé des récits dénonciateurs, des textes vengeurs. Enfances négligées, maltraitées, méprisées, ou malentendus et difficultés de communication sont les motifs le plus généralement présents dans les récits de vie et dans les anamnèses psychologiques.
Voici pourtant deux livres qui démontrent l’inverse, chacun à sa manière.
Vincent Flamand intitule « roman » un texte manifestement autobiographique, D’aussi loin que je souvienne, il s’est toujours levé tôt, dans lequel il rend un vibrant hommage à son père, avec une conviction qui dépasse la reconnaissance intime. Dès le titre et les phrases liminaires, on comprend que l’observation sera minutieuse, attentive au détail comportemental marquant comme au moindre petit fait, du moment qu’ils ont laissé une imprégnation affective. Admiratif devant le courage quotidien d’un père qui affronte le réel « dans un grand cri de silence », le fils retrace les moments clés de leur vie commune, à deux plutôt qu’à trois, car la mère, « la femme du père », semble en retrait, du moins dans le souvenir du narrateur. Est-ce parce qu’ils le qualifient d’étrange que ce fils et son père se sont en quelque sorte ligués contre le reste du monde, ou parce que, tard venu, l’enfant est resté à jamais l’inespéré, le fils de la promesse tenue ? « J’étais son unique, sa raison d’être, sa référence », dit-il. Mais les choses ne sont pas aussi simples et il est parfois difficile de comprendre et de dire. Ainsi cet « étrange paradoxe d’avoir profité d’une enfance merveilleuse qui pourtant n’a pas eu lieu ». Trop aimé, l’enfant cherche à se conformer à cette image de lui que son père s’est forgée et dont il doute. Devenu trop tôt le père de ce père qui avait peut-être refusé de grandir, le fils a dû apprendre à faire le deuil de sa présence. Vient un jour où il devient « presque en trop », ce père trop peu reconnu des autres et qui se prenait si peu au sérieux lui-même. C’est à sa mort qu’on se rend compte de tout l’amour qu’on lui portait et qu’on éprouve le besoin de le clamer, de chercher « à tout dire d’une métaphore », de trouver enfin les mots pour exprimer la qualité de son silence.

Michelle FOUREZ
Seules
Avin
Editions Luce Wilquin
2010
94 p.
10 €

Autre livre familial, autre problématique. Mais c’est aussi un texte plein d’amour que le roman de Michelle Fourez, Seules, célébrant le lien très fort qui attache une mère à son fils. Développé au travers de fragments qui en disent plus long peut-être qu’un récit suivi, le détail de leur vie est ponctué d’attentes, et ce n’est pas la moindre des qualités du livre. En effet, l’histoire principale ne nous parvient qu’indirectement, sous la forme de confidences inattendues énoncées par une femme jusqu’alors silencieuse et entendues par une autre qui ne peut pas la voir, à cause d’une blessure à l’œil. La scène se passe dans une chambre d’hôpital où ces deux patientes qui ne se connaissent pas sont seules. Huis clos favorable au dévoilement et lieu d’un constat douloureux : la solitude, l’absence, l’abandon.
Ces deux femmes seules, diminuées physiquement pour des motifs différents, s’opposent sans le savoir : l’une n’a pas eu d’enfant, l’autre a dédié sa vie à son fils unique. Et c’est cette dernière qui parlera, parce que, elle, elle a quelque chose à raconter.
L’originalité de ce court roman, c’est sa structure. Le récit de la mère est enchâssé dans le monologue intérieur de celle qui n’a pas eu d’enfant, ce qui dédouble le point de vue. L’effet de résonance va se poursuivre. Celle qui était dans la privation, de la vue mais aussi de la maternité, va développer une attention qui croît progressivement et, au long de son écoute, oublier peu à peu sa souffrance. La langue elle-même varie d’un personnage à l’autre. Le monologue intérieur de celle qui va écouter est structuré, aligne logiquement une série de réflexions, de mises au point utiles au lecteur. Le discours de l’autre, au contraire, est parlé, vivant, fait de phrases nominales, d’exclamations, d’expressions familières, de paroles prises sur le vif et notées en italiques. Ces textes sont bien distincts, ciselés comme des modèles linguistiques et font office de citations.
Il y a encore une autre leçon sans doute. La mère fait une démonstration en quelque sorte, elle donne la seule recette de vie sinon de bonheur qui existe selon elle, en évoquant les meilleurs moments de leur vie à deux, elle et son enfant. Une existence comme une œuvre d’art, comme un roman par exemple.