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Critiques de livres

Gérard PRÉVOT
L’impromptu de Coye et autres poèmes
Châtelineau
Le Taillis Pré
coll. Ha !
2010
236 p.
20 €

Une œuvre en un livre
par Laurent Demoulin
Le Carnet et les Instants N°164

Qui était Gérard Prévot ? Né à Binche en 1921, ce poète s’est installé à Paris en 1954 et a travaillé comme lecteur chez Gallimard. Il a publié neuf recueils chez divers éditeurs belges et français (notamment chez Seghers), des contes fantastiques et trois romans. Il est décédé en 1975. L’impromptu de Coye et autres poèmes, publié aujourd’hui dans la collection Ha ! des éditions Le Taillis Pré, retrace sa carrière poétique en rassemblant des extraits de presque tous ses recueils.
Il est passionnant d’avoir ainsi accès, en un seul livre, à tout un parcours poétique, d’autant que celui de Gérard Prévot est à la fois exemplaire et étonnant. Exemplaire car, de recueil en recueil, le poète ne cesse d’améliorer son art, de préciser son projet, d’affiner ses vers, aboutissant ainsi au titre final, L’impromptu de Coye, qui peut être considéré comme un véritable chef-d’œuvre. Étonnant car les choix esthétiques de Prévot le voient prendre le contre-pied d’un siècle poétique, le XXe, dominé par le vers libre et le poème en prose : de 1951 à 1972, c’est le vers régulier, et le plus souvent l’alexandrin, que le poète ne cesse de ciseler. Il s’en explique avec verve dans un art poétique paru en 1958 en préface à son recueil Élégies dans un square décapité : c’est que, à ses yeux, « le vers libre, si l’on excepte quelques pages d’Apollinaire et de Cendrars, n’a pas ajouté de chef-d’œuvre au patrimoine poétique » et ne débouche « sur rien d’autre que sur un compromis entre la prose et la poésie ».
Et, à cet égard, Prévot ne fait aucun compromis. Faut-il pour autant le considérer comme un néoclassique rétif à la nouveauté ? Il s’en défend dans cette même préface : pour lui, « l’art vraiment révolutionnaire » se trouve « à l’intérieur du vers régulier ». Il convient dès lors « d’intégrer à l’art classique certains éléments nouveaux ». Et c’est en effet ce programme que Prévot applique au fil de ses recueils. Dès ses premiers vers, il supprime la ponctuation, geste que n’aurait pas accepté un strict épigone de Racine. Ensuite, il multiplie les images d’une audace digne des surréalistes.
Ses premiers poèmes sont tellement métaphoriques qu’il est parfois difficile d’en circonscrire le sens : on y lit une succession de fulgurances sans comprendre les liens qui unissent un vers à l’autre. Par la suite, le sens s’éclaircit, mais il ne devient pas pour autant transparent, car des allégories mystérieuses jouent un rôle ambigu au sein de belles méditations sur la mort, le temps, la poésie, la ville ou l’amour. Ainsi est-il question de square, d’ombre, d’aigle et, comme chez Cocteau, d’ange, sans que l’on devine ce qui se cache exactement sous ces symboles récurrents.
Enfin, si les rimes sont régulières (et d’ailleurs souvent très riches), Prévot livre parfois son vers à des expériences osées. Ainsi, un poème de 1955 voit les strophes s’allonger pour passer de quatre à seize syllabes avant de se désarticuler en vers libres après la phrase « Alexandrins je vous dis merdre ». Néoclassique, vraiment ?
Par ailleurs, comme le souligne Gérald Purnelle dans son éclairante préface, Prévot excelle dans les vers brefs, qui sonnent comme des proverbes. Les maximes frappantes se comptent par dizaines tout au long du recueil, et l’on terminera ce compte rendu en en citant quelques-unes : « J’ai laissé trop de moi parmi trop d’existence » ; « Qu’importe l’arbre aux feuilles qui s’en vont » ; « Jamais un sablier ne pardonne à l’amour » ; « Il est beau d’être libre et beau d’être conquis ».