pdl

Critiques de livres

Jacques DE DECKER
Modèles réduits
Bruxelles
Éditions La Muette
Éditions Le Bord de l’eau
2010
207 p.
18 €

Ah, ces petits Belges !
par Michel Torrekens
Le Carnet et les Instants N°164

La nouvelle n’est-elle pas un roman en modèle réduit ? La Belgique n’est-elle pas un pays en modèle réduit ? Et Bruxelles, n’est-elle pas cette capitale en modèle réduit ? Non, bien sûr, car la nouvelle permet de serrer son sujet en le densifiant et nos frontières sont traversées par toutes les influences du monde. « Et néanmoins, dans maintes occasions, il est nécessaire et amical d’écrire des riens plutôt que de ne rien écrire » : la citation de Gœthe en exergue de Modèles réduits, le recueil de nouvelles de Jacques De Decker, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique (www.arllfb.be), romancier, homme de théâtre, traducteur et surtout passeur de passions, notamment celle qu’il porte à la littérature belge, ne pouvait être mieux choisie. Cette amicale nécessité d’écrire, même des riens, s’exprime tout au long de ces textes qui rappelle la ligne rédactionnelle d’une autre activité de Jacques De Decker, en tant que directeur de la revue Marginales : aborder des thèmes d’actualité à travers le filtre de la fiction et le regard subjectif d’un écrivain. On devine derrière certains de ces textes les ressorts de la contrainte, des récits de circonstance, sans que cela nuise à la cohérence de l’ensemble, tant les échos d’une nouvelle à l’autre sont nombreux. Les histoires se déroulent dans des décors familiers, où Bruxelles occupe la place de choix, à tel point qu’il nous en est donné une topographie poétique tellement précise qu’elle pourrait inspirer bien des balades dominicales, de la place Dailly à la place Madou, de la rue Louis Hap à la chaussée de Haecht, de la rive gauche du canal au 135 de la rue Esseghem, de Jette à Evere, « le pays de toujours », for ever, et jusqu’à un tracé royal comme seul peut s’en offrir cette capitale « eurotique » qui cumule les casquettes : régionale, nationale, européenne, sans renier sa dimension communale. Même s’ils n’en constituent pas nécessairement l’argument de base, des événements connus émaillent également ces textes et les agrémentent de cette touche particulière qui fait que l’on se sent presque dans des histoires de famille. Citons la mort du roi Baudouin, les élections à répétition, les communes à facilités, l’urbanisation sauvage, les eurocrates, le 11 septembre, « premier chef-d’œuvre du XXIe siècle, comme l’a qualifié un compositeur allemand », etc. Ces relativement courts récits ont aussi souvent le charme de la discussion, de la disputatio que se tiennent par exemple deux philosophes amateurs, « ennemis de la certitude », qui élèvent la conversation au rang des beaux-arts. Ils le font sans prétention, un éclair malicieux dans le regard, se renvoyant la balle comme des finalistes d’un Roland-Garros, combinant leurs observations du réel le plus quotidien à leurs réflexions d’où se dégage une sagesse personnelle, teintée d’un humour malicieux. Il y a aussi de la nostalgie dans ces nouvelles, pour des cinémas disparus, des modèles de voitures qui ont véhiculé nos enfances, des premiers amours jamais tout à fait éteints, jusqu’au texte final où l’on sent poindre une colère rentrée. Cette « gamme de modèles », manière souriante d’intituler le sommaire, s’incarne à travers une myriade de personnages, Ulrich, Walter, Suzanne, Fatima, Myriam, Bloem et Tintin, René et Henri, Marinette… Des modèles qui ne sont pas réduits à faire de la figuration et que nous avons tous été amenés à rencontrer un jour, car ils parlent de nous.